La Grande Région (Lorraine, Luxembourg, Sarre, Wallonie) est un lieu de passage, à la frontière des aires linguistiques francophones et germanophones, une zone d’échanges entre culture latine et culture germanique. Cette position d’Entre-Deux en fait-elle une aire pérenne d’échange et de circulation de savoirs, notamment scientifiques et plus spécifiquement mathématiques ? La question mérite d’être posée pour une région traditionnellement marquée par l’industrie du fer et du charbon, mais aussi pour avoir vu naître ou avoir accueilli de fortes personnalités scientifiques, comme Gabriel Lippmann, Henri Poincaré, Élie Cartan ou Jules Hoffmann, pour n’en citer que quelques-unes.
L’objectif de ce colloque est de faire le point sur les connaissances déjà acquises sur les circulations mathématiques dans la Grande Région, et d’explorer les possibilités d’une recherche plus approfondie concernant cette histoire déployée sur un temps long (du xviiie au xxe siècle).
Nous aborderons les mathématiques comme une pratique socialisée dont nous voulons étudier les différents modes de circulation et plus particulièrement, mais pas seulement, à partir des vecteurs que constituent les journaux et les revues. Les mathématiques sont envisagées dans toutes les formes par lesquelles elles s’inscrivent dans la société à travers la recherche académique, les champs d’application, l’enseignement (de tout ordre) ou les pratiques d’amateurs. Nous analyserons donc les échanges entre spécialistes, mais aussi des processus d’acculturation et d’appropriation des mathématiques par différents publics : ingénieurs ou autres professionnels utilisant des mathématiques (dans les mines par exemple), militaires, enseignants, élèves et simples curieux (alphabétisés).
Située à cheval sur quatre pays, la Grande Région constituera un cas d’étude intéressant, et peu envisagé, de circulation des mathématiques, loin des grandes bibliopoles comme Paris, Londres, Leipzig ou Francfort. Vers quels centres régionaux ou nationaux se sont-tournés les mathématiciens locaux désireux de publier, les étudiants en quête de formation, les ingénieurs à la recherche d’informations, les lettrés souhaitant se cultiver ? Quelles ressources éditoriales ou documentaires ont-ils mobilisées ? Cette question a son importance lorsqu’il s’agit, par exemple, de décider des manuels d’enseignement des mathématiques dans le secondaire ?
Nous nous intéresserons plus particulièrement aux ressources matérielles et intellectuelles dont disposaient des centres éditoriaux comme Metz, Nancy, Liège, … : éditeurs, imprimeurs, sociétés savantes et leurs bulletins, académies et leurs mémoires, universités, …. Les publications périodiques de certaines organisations professionnelles, dans les milieux industriels ou de l’enseignement, ont aussi contribué à la circulation mathématique, notamment dans le domaine des mines et de la métallurgie.
Une attention forte sera accordée, en phase avec le projet Cirmath, à la presse périodique, spécialisée ou non, qui constitue un important vecteur de circulation des mathématiques. Non adossés à une société savante ou à une académie, certains de ces journaux sont soumis aux lois du marché et, sans public captif, doivent attirer des lecteurs, qui constituent un horizon d’attente dictant parfois ses choix aux rédacteurs. Quelle est la place que ceux-ci ont consacrée aux mathématiques et quelle image en ont-ils véhiculée auprès d’un public curieux de nouvelles ? Quelles stratégies ont-ils mises en place pour satisfaire les publics ciblés ?
Dans le long terme, notre ambition est de faire émerger des dynamiques dans le temps, en analysant les réseaux locaux, régionaux, nationaux, transnationaux ou internationaux de circulation des mathématiques et ainsi de mettre en lumière pour la Grande Région des interactions à des échelles variées, entre milieux variés et entre aires géographiques différentes.
Dans l’immédiat, le colloque de la rentrée 2017 sera organisé autour de cinq thématiques :
- Les centres éditoriaux de la Grande Région (Metz, Nancy, Liège, …) dans l’histoire
- Les acteurs de la circulation : mathématiciens, passeurs, éditeurs, entrepreneurs,…
- Le rôle des sociétés savantes et de leurs publications au cours des siècles
- La presse (notamment savante) et leurs publics
- Confrontation avec d’autres espaces transnationaux de circulation (Poméranie suédoise, Neuchâtel,…)
Programme à venir sur le site du projet Cirmath sur hypotheses.org
Manifestation organisée dans le cadre du programme Cirmath (Circulations des mathématiques dans et par les journaux : histoire, territoires et publics) validé par l’ANR et du CPER Grand Est (programme Ariane) par :
- Massimo Malvetti (Université de Luxembourg)
- Philippe Nabonnand (Archives Henri Poincaré, Nancy)
- Jeanne Peiffer (CNRS, Paris)