Icone social AHP

Esthétique de la danse : ontologie, cognition, émotion

Jeudi 22 mai 2008 - 09:00 - Samedi 24 mai 2008 - 17:00
Centre Culturel André Malraux (Scène Nationale), Vandœuvre-lès-Nancy
Argumentaire: 

Dance vient de dancer, que lon dit en latin Saltare : Dancer c'est à dire saulter, saulteloter, caroler, baler, treper, trepiner, mouvoir & remuer les pieds, mains, & corps de certaines cadances, mesures, & mouvementz, consistans en saultz, pliement de corps, divarications, claudications, ingeniculations, elevations, jactations de pieds, permutations & aultres contenances desquelles Atheneus, Celius, Scaliger, & aultres font mention: aulcunefois on y adjouxte les masques pour monstrer les gestes d'un personnage que lon veult representer. Lucian en à faict un traicté, ou vous pourrez veoir ce qu'il en dit plus au long: Julius pollux en faict semblablement un chappitre bien ample. (Thoinot Arbeau, Orchesographie, Langres, 1589)

« Pourquoi les philosophes négligent-ils l’esthétique de la danse ? » est une question qui malheureusement mérite toujours d’être posée. Tandis que les esthéticiens et les philosophes de l’art se sont intéressés aux arts visuels, à la musique et à la littérature, la danse est loin d’avoir reçu la même attention. On l’a probablement dédaignée du fait de son lien intime avec le corps, et de son caractère en ce sens « trop matériel ». Certains philosophes ont pensé la même chose à propos de l’architecture et de la musique. Dans leur classification des arts, la poésie et la littérature, moins matérialistes, occupent le rang le plus élevé ; l’architecture est placée au rang le plus bas ; et la danse n’est même pas mentionnée. Heureusement, pour d’autres philosophes, le caractère primitif – ou même animal – de la danse est aujourd’hui considéré comme étant sa valeur principale, surtout dans des perspectives psychanalytiques ou post-modernes. Ceci est particulièrement vrai dans la tradition philosophique continentale. Bien que la tradition analytique ait récemment développé d’intéressantes réflexions sur la danse, assez différentes de celles trouvées dans la philosophie continentale, il reste beaucoup à faire pour que la danse obtienne dans la théorie esthétique une place comparable à celle dont jouissent les autres arts.

L’objectif principal de ce colloque est de développer l’étude philosophique de la danse contemporaine. Un point de départ pourrait être de réfléchir à la remarque de Nelson Goodman selon laquelle les émotions fonctionnent cognitivement. Ceci suggère la nécessité de mettre en question l’opposition ordinaire entre la cognition et l’émotionla compréhension (connaissance, rationalité) et la sensibilité (imagination, irrationalité), les problèmes scientifiques et les problèmes artistiques. La danse est incarnée dans des mouvements expressifs, chargés d’émotion. Mais ce que sont et ce que signifient les ballets et les spectacles de danse ne peut pas être réduit aux mouvements et aux gestes physiques qui les composent. La danse consiste en des actions corporelles et intentionnelles possédant des propriétés qui font d’elles des œuvres esthétiques. Le colloque sera consacré à une étude de ces propriétés. Elles pourraient éventuellement être discutées sous trois rubriques comme étant des propriétés ontologiques, cognitives et émotionnelles. Comment la danse survient-elle sur les mouvements organisés du corps ? Quel rôle jouent de telles propriétés dans la transformation des gestes et des actions en œuvres d’art ? Tel est justement le sujet de ce colloque. Même si nous sommes conscients de l’importance centrale de la créativité artistique dans cette métamorphose, nous pensons aussi que la philosophie possède des instruments conceptuels qui devraient nous permettre de répondre à ces questions, au moins en partie ; et ces réponses pourraient aider les publics, les chorégraphes et les danseurs eux-mêmes à avoir une compréhension plus claire de la danse.

Considérons très brièvement la façon dont la danse pourrait être discutée en prêtant notre attention à l’ontologie, à la cognition et à l’émotion.

Ontologie. Un ballet ou un spectacle chorégraphique a une identité. Il commence et s’achève à un certain moment. Il peut être exécuté à plusieurs endroits, à différents moments. Il peut être identifié et ré-identifié. Intuitivement, il semble clair que cette identité de la danse exécutée diffère d’autres cas, comme celui des tableaux, des gravures, des œuvres musicales ou des romans. Dans le cas des spectacles chorégraphiques, comment pourrions-nous utiliser un objet, un texte, ou une partition comme un critère d’identité ? Un spectacle de danse semble être un événement. Mais qu’est-ce qui fait que plusieurs événements sont attachés au même type ? Leur ressemblance ? Leur instanciation ? Leur relation historique ? Leur structure commune ? Afin d’examiner les propriétés ontologiques des spectacles de danse, il est utile ou même nécessaire d’appliquer les principaux concepts de l’ontologie : des notions comme celles d’identité, de propriété, de réalité, de type et d’essence. Sans de tels outils logiques et métaphysiques, la réflexion serait confuse et vague. Même si les conditions d’identité pour une danse sont structurellement vagues – même si la danse est ontologiquement vague – nous devons trouver des façons précises de caractériser sa forme vague spécifique. Ce qui constitue l’identité d’un ballet ou d’un spectacle est si complexe et subtile que l’ontologie de la danse représente un défi très intéressant pour la métaphysique. En danse contemporaine, le statut ontologique des ballets et des spectacles de danse est particulièrement innovant et parfois surprenant. La danse pourrait probablement être à même de développer, voire de renouveler la recherche ontologique. Les questions ontologiques soulevées par la danse offrent des perspectives pour le développement de l’ontologie.

Cognition. Les arts fonctionnent cognitivement. Premièrement, sans une forme de compréhension, une catégorie intelligible, nous serions simplement incapables d’identifier un objet ou un événement comme étant une œuvre d’art. Deuxièmement, les œuvres d’art peuvent aussi constituer des manières de comprendre la réalité et d’appréhender certaines de ses propriétés, particulièrement ses propriétés expressives. Ceci est vrai également pour un ballet ou un spectacle de danse. Bien sûr, cela ne veut pas dire que la danse peut être assimilée à la connaissance scientifique, ou qu’elle délivre des vérités supérieures à celle de la rationalité terre-à-terre. Comme les autres arts, la danse évite souvent la dénotation, mais cela ne veut pas dire qu’elle échoue à référer, parce qu’elle peut le faire par d’autres moyens symboliques. Interpréter correctement un spectacle, c’est lui donner sa juste signification symbolique, appréhender les mouvements comme exemplifiant ou exprimant des propriétés. C’est pourquoi la danse, comme les autres arts, requiert l’intelligence et contribue à la cognition. Il nous faut comprendre comment et pourquoi la danse peut avoir cette dimension cognitive, pour le chorégraphe qui exprime par des mouvements un sens des relations spatiales, pour les danseurs dont les mouvements dépendent en partie de leur compréhension de l’intention du chorégraphe, et bien sûr pour le public qui comprend, à travers le spectacle, quelque chose qui ne pourrait vraisemblablement pas être compris d’une autre manière.

Emotion. La danse exprime des émotions et fait parfois ressentir à un public certaines émotions. Mais comment est-il possible pour des mouvements intentionnels d’exprimer des émotions telles que la joie ou la tristesse ? Quelle est la relation entre la dimension cognitive d’un spectacle de danse et la façon dont il stimule des émotions ? Les émotions suscitées par la danse nous apprennent-elles quelque chose ? Et à propos de quoi ? De l’espace ? Du temps ? Des relations humaines ? Parce que l’on danse avec le corps, il est dit parfois que les émotions dans la danse sont non sophistiquées et principalement « physiques ». Mais est-ce que les lapins dansent ? Et pourrait-on dire que leurs mouvements expriment l’amour, ou une quête du salut éternel ? Pour bien des philosophes, la question des émotions est principalement reliée au problème traditionnel de la relation corps-esprit, et qui est désormais appelé « philosophie de l’esprit ». Nous avons assurément besoin d’appliquer les concepts de cette partie de la philosophie et de la métaphysique à la danse. Mais réciproquement, la danse peut nous apprendre quelque chose à propos des mouvements volontaires, par exemple. Wittgenstein affirme : « le corps humain est la meilleure image de l’âme humaine. » L’étude philosophique sérieuse de la danse pourrait confirmer ou réfuter cette remarque.

Nelson Goodman a proposé un tournant épistémique en esthétique générale. C’est précisément la façon dont les esthéticiens du Laboratoire d’Histoire des Sciences et de Philosophie-Archives Poincaré (Centre Nationale de la Recherche Scientifique) entendent travailler en esthétique. L’esthétique et l’étude de la compréhension humaine ne sont pas opposées. La danse est probablement le dernier art à être choisi comme un exemple pouvant mener les gens à comprendre cette thèse aristotélicienne et goodmanienne. Pour cette raison, notre colloque sera un défi intéressant. Et ce défi sera non seulement philosophique, mais aussi artistique. Durant le colloque, quatre moments seront réservés à des spectacles de danse. Ainsi les lectures et les débats seront alimentés par un contact direct et immédiat avec l’objet même du colloque.

Participants: 

Voir Programme.

Programme: 

La liste des intervenants est définitive, tous les intervenants ayant confirmé leur présence.

Le programme sera constitué de conférences (45minutes) et interventions (25 minutes), toujours suivies de débats (15 minutes).

L’accueil du colloque par le Centre Culturel André Malraux permettra d’insérer quatre performances dansées. Le choix de ces performances – dont un spectacle le soir, ouvert au public et permettant de diffuser le contenu du travail scientifique qui aura eu lieu – se fera en collaboration entre le Centre Culturel André Malraux (dirigé par Dominique Répécaud) et Julia Beauquel (co-organisatrice du colloque). Lors des pauses, des vidéos danse seront présentées sur des écrans.

Inscriptions sur le lieu du colloque. Tarif : 5 € / 3 € pour étudiants et chômeurs.

 

Le programme incluant les résumés est disponible au format pdf en suivant ce lien.

 

Jeudi 22 mai

14h30 Philosophie analytique et danse contemporaine, par Roger Pouivet, Nancy-Université, Archives Poincaré [résumé]

15h40 L’exemplification et la danse, par Catherine Z. Elgin, Université Harvard [résumé]

16h50 Pause

17h10 La danse, art du corps engagé, et la question de l’autonomie, par Catherine Kintzler, Université de Lille III [résumé]

18h20 Ce qui est juste et ce qui est correct en danse contemporaine et dans les activités sportives, par Fabrice Louis, Nancy-Université [résumé]

19h00 Buffet

20h30 Spectacle Song and Dance de Mark Tompkins

 

Vendredi 23

11h30 L’œuvre chorégraphique : ni autographique, ni allographique, par Frédéric Pouillaude, Université Paris-IV Sorbonne [résumé]

12h45 Buffet

14h15 Danse, identité et représentation, par Graham Mc Fee, Université de Brighton et Université d’Etat de Californie [résumé]

15h25 L’identité dans la danse : la quête chimérique de l’essentialisme et la promesse du pragmatisme, par Julie C. Van Camp, Université d’Etat de Californie [résumé]

16h35 Pause

16h55 Les émotions et la danse, par Julia Beauquel, Nancy-Université, Archives Poincaré [résumé]

17h35 Les lapins pourraient-ils danser ?, par Mikael M. Karlsson, Université d’Islande [résumé]

19h Buffet

20h30 Spectacle Cycle des furies de Aurore Gruel


Samedi 24


11h30 Est-ce le corps qui danse ?, par Bernard Andrieu, Nancy-Université, Archives Poincaré [résumé]

12h45 Buffet

14h15 Rôle et interprétation dans la danse contemporaine, par Uwe Behrens, Nancy-Université, Archives Poincaré [résumé]

15h25 La communication kinesthésique par la danse et la musique, Noël Carroll et Margaret Moore, Université de Temple [résumé]

16h35 Goûter et fin du colloque

Résumés: 
  • Philosophie analytique et danse contemporaine, par Roger Pouivet

Ce colloque est organisé par le Laboratoire d’Histoire des Sciences et de Philosophie – Archives Henri Poincaré (CNRS), plus particulièrement dans le cadre de son Axe 3 « Esthétique, Logique et Philosophie de la connaissance ». Pourquoi des spécialistes d’épistémologie et de logique, comme les organisateurs et plusieurs participants de ce colloque, s’intéressent-ils à la danse contemporaine ? Le but de mon intervention est d’expliquer les raisons pour lesquelles la danse contemporaine est un objet d’étude particulièrement approprié aux chercheurs de l’axe 3 des Archives Poincaré. Une certaine interprétation de la danse, à la fois comme pratique corporelle du danseur et expérience « purement » esthétique du spectateur, repose sur l’opposition entre le cognitif d’une part et le sensible ou le corporel, d’autre part. Cette opposition a fait les beaux jours d’une conception « continentale » de l’esthétique à laquelle nous sommes accoutumés en France. Si cette opposition est fausse, si « les émotions fonctionnent cognitivement » (Nelson Goodman), la danse contemporaine, bien loin d’être sans relation avec la connaissance, manifeste certains aspects (de certaines propriétés) de la réalité. Elle ne se résume pas à une immersion dans le corporel et à une vibration sensible. Elle est un mode de connaissance de propriétés spatiales et de propriétés expressives, entre autres. Les œuvres de la danse contemporaine offrent ainsi une perspective saisissante sur des questions d’ontologie (comme étude des modes d’existence des choses autour de nous) et des questions de philosophie de l’esprit (quel rôle jouent les émotions dans notre appréhension de la réalité qui nous entoure ?). Ce sont des problématiques que plusieurs participants discuteront. Mon intervention, introductive, propose une perspective générale (et contestable, bien sûr) permettant, je l’espère, de mieux suivre ce colloque.

  • L’exemplification et la danse, par Catherine Z. Elgin

Dans la lignée des écrits de Nelson Goodman, j'étudierai la façon dont la danse accroît notre compréhension grâce à l'exemplification de propriétés temporelles, spatiales, corporelles et émotionnelles. Je soutiendrai que les oeuvres chorégraphiques rendent manifestes des propriétés qui sont présentes dans d'autres aspects de notre vie mais que nous ne remarquons pas. De plus, en sensibilisant les publics à des aspects des choses dont ils étaient inconscients auparavant, la danse crée de nouvelles propriétés dépendant d'une réponse. De cette manière, “elle crée des mondes?, dans un sens quasi-littéral. Elle fait que le monde contient des propriétés qu'il ne contenait pas auparavant.

  • La danse, art du corps engagé, et la question de l’autonomie, par Catherine Kintzler

En rendant le corps à lui-même et en lui accordant une gratuité propre, la danse occupe une place singulière et souvent problématique dans les systèmes des Beaux Arts depuis le XVIIe siècle. Mise longtemps sous tutelle musicale et/ou littéraire, il semble qu’elle propose une forme d’autonomie inquiétante, à tel point qu’un grand penseur comme Hegel la laisse – avec l’art des jardins - à l’écart de son parcours ; dans cette pensée systématique seul Alain lui accorde une place véritablement autonome. On tentera quelques réflexions sur les motifs philosophiques de cette inquiétude, ce qui conduira à une interrogation sur le statut du corps (tant celui du danseur que celui du spectateur) et à sa modification au XXe siècle ; on s’aidera notamment d’une comparaison entre la danse et le sport.

  • Ce qui est juste et ce qui est correct en danse contemporaine et dans les activités sportives, par Fabrice Louis

La distinction entre des actions réalisées uniquement en suivant des règles et des actions qui doivent avoir une valeur esthétique semble poser un problème philosophique. Nous essayerons d’établir qu’en danse contemporaine, la notion de justesse est au cœur du problème. Dans une perspective wittgensteinienne, nous tenterons de montrer que ce qui est juste en danse est ce qui fait sens, et que ce qui fait sens est ce qui joue un rôle dans la forme de vie créée par le chorégraphe et le danseur. Ceci nous amènera à distinguer ce qui est juste de ce qui est correct. Nous appliquerons cette distinction au champ de l’Education Physique et Sportive : nous montrerons que dans le cadre des apprentissages moteurs, il est nécessaire de dissocier « être juste » et « être performant ».

  • L’œuvre chorégraphique : ni autographique, ni allographique, par Frédéric Pouillaude

Les œuvres chorégraphiques peuvent généralement se répéter et se transmettre. Ce fait de la répétition implique que soit opéré au sein de l’œuvre un certain partage entre des propriétés constitutives et des propriétés contingentes. Cependant, pour des raisons liées à la faible intégration des systèmes notationnels aux pratiques de danse, un tel partage ne se dépose presque jamais sous forme de partitions et s’en remet le plus souvent à la transmission orale ou à des traces ayant seulement fonction de document et non d’identification (vidéo, compte-rendu, notes, etc.). L’œuvre chorégraphique conjoindrait alors deux traits que Nelson Goodman juge, à travers l’opposition entre autographie et allographie, parfaitement exclusifs l’un de l’autre : d’une part, le partage entre le constitutif et le contingent (allographie), d’autre part, la dépendance de l’identité vis-à-vis de l’histoire matérielle de production et de transmission de l’objet (autographie).

Nous faisons l’hypothèse que cette difficulté ne fait pas que remettre en cause la théorie goodmanienne, mais indique plus généralement une tension propre à la notion d’œuvre chorégraphique, tension que nous nommons désœuvrement.

  • Danse, identité et représentation, par Graham Mc Fee

Quelles sont les conditions pour qu'un spectacle chorégraphique soit une représentation authentique du Lac des Cygnes? Dans certains textes, j'ai soutenu que ce qui peut être explicité par une partition, ce sont des contraintes de l'oeuvre type (je traite les oeuvres chorégraphiques comme des types uniques ayant de multiples occurrences). Cette thèse assigne-t-elle au chorégraphe, en tant qu’auteur de l'oeuvre chorégraphique, un rôle (logique) trop restreint? Rend-elle compte du fait que les partitions pour la danse sont habituellement produites par les notateurs «après les faits», comme des enregistrements plutôt que comme des « recettes » (à la différence de la musique)? L'auteur peut avoir un rôle (puisque « la mauvaise histoire de production » est une exception connue des prétentions à l'identité pour les œuvres ; de plus, les chorégraphes (et les danseurs) pourraient choisir de résoudre les problèmes pour les partitions notées, et fructueusement. Les représentations des «cas standards» du Lac des Cygnes seraient alors distinctes à la fois des cas de différence maximale entre des occurrences du même type, et de ressemblance maximale entre des occurrences d'un type différent, en accord avec les conclusions de la «République de la Danse».

  • L’identité dans la danse : la quête chimérique de l’essentialisme et la promesse du pragmatisme, par Julie C. Van Camp

Je critique une série de propositions relatives à l’identité des œuvres d’art dans la danse, comme le recours à la notation, la distinction entre type et occurrences, et les historiques de production. Les problèmes soulevés par la danse comprennent des développements récents concernant la singularité du corps humain, la notation et l’enregistrement des œuvres. Mais ils incluent aussi les discussions des communautés du monde de la danse sur ce qui constitue une œuvre ou sur des variations parmi les « sous genres » de danse. J’ai pu proposer une approche pragmatiste de l’identité des œuvres d’art en général : je l’applique ici à des exemples spécifiques de danse, afin de tester son efficacité pour examiner l’identité des œuvres de cette forme d’art.

  • Les émotions et la danse, par Julia Beauquel

La réflexion philosophique sur la nature de la danse peut-être considérablement enrichie par celle de Ronald de Sousa sur la rationalité des émotions, laquelle met en question un certain nombre de dichotomies traditionnelles : entre la rationalité et l’irrationalité, l’objectivité et la subjectivité, l’activité et la passivité, la spontanéité et la délibération et enfin entre le déterminisme et l’indéterminisme.

Dire que la danse est totalement a-rationnelle reviendrait à assimiler notre nature humaine à celle des autres animaux. Prétendre qu’elle est irrationnelle serait nier la possibilité pour les chorégraphes et les danseurs d’avoir de bonnes raisons de supprimer des « séquences » chorégraphiques ou de préférer certaines qualités de mouvement à d’autres lors des processus de création.

La thèse goodmanienne du fonctionnement esthétique des émotions, renforcée par une analogie entre le caractère approprié de l’émotion et la juste qualité du mouvement dansé, nous permet de soutenir que « comprendre » la danse revient en grande partie à sentir sa justesse. L’appréhension de cette justesse consiste en effet simplement dans le fait d’éprouver une émotion.

  • Les lapins pourraient-ils danser ?, par Mikael M. Karlsson

Ma question (inspirée de l’article de Sue Jones, de 1999, « Les lapins dansent-ils? ») est triple : Les lapins pourraient-ils danser ? Les lapins pourraient-ils danser ? Et les lapins pourraient-ils danser ? En d’autres termes, la question invite à considérer l’acquisition des capacités, la nature de la danse, et les capacités, ou capacités potentielles, des lapins. Je me focaliserai sur le deuxième aspect : celui qui concerne la danse. Mais je pense qu’il ne peut pas être bien traité sans considération des deux autres sujets. De nombreux écrits philosophiques sur la danse se sont concentrés sur la formation et l’application des concepts (ou, pour m’exprimer autrement, sur la signification et l’utilisation des termes tels que celui de « danse »). Ma perspective sera plutôt celle de la philosophie de l’action, et j’adopterai une position assez informelle quant aux problèmes de signification. Il existe plusieurs catégories d’actions, et une bonne partie de mon analyse sera vouée à considérer la façon dont la danse peut être définie comme type d’action. Mon approche s’appuiera sur l’œuvre d’Aristote, d’Elizabeth Anscombe et de Donald Davidson, parmi d’autres.

  • Est-ce le corps qui danse ?, par Bernard Andrieu

La pratique dansante est une mise en action du corps ; les effets de cette action, non seulement sur le monde, mais sur nous-mêmes constituent une expérience ressentie : cette première impression produit des sensations internes que notre corps ressent plus moins fortement. Cette intensité vécue devient une expérience du corps dans la danse dès lors que nous pouvons la comparer à d’autres pratiques corporelles.

La pratique corporelle transforme le corps du danseur en lui fournissant une expérience extérieure : la pratique exige du corps une interaction entre l’objet et le sujet, dont l’effort, la volonté et la fatigue sont les effets immédiats ; ces premiers effets durant la pratique même produit une expérience spontanée sans reprise en raison de la dépense physique.

L’épreuve de la pratique dansante, si singulière à chacun, définit le vécu de l’activité physique comme une expérience dans son après coup : à la fin de la pratique corporelle, l’expérience est constituée sans être encore réfléchie. Durant la pratique, le sentiment de vivre une expérience corporelle suppose un dédoublement entre l’activité physique et le sujet qui met en pratique son corps. Cet accompagnement de la conscience au cours de la pratique relève de techniques corporelles d’auto-réflexivité.

L’expérience corporelle est donc le résultat d’une constitution subjective : elle ne deviendra réflexive qu’après un vécu spontané et immédiat ressenti au cours de la pratique corporelle. Même si le sportif de haut niveau, lors de sa performance, est capable de porter son attention à son expérience corporelle, il y a toujours un écart réflexif entre l’expérience corporelle et la pratique corporelle. Même didactiquement préparée et guidante, la pratique corporelle ne peut produire pour chacun la même expérience corporelle : la pratique corporelle déploie une activité physique selon une certaine séquence et au service d’une progression motrice de l’action.

Mais aucune pédagogie ne peut réduire l’écart entre ce qui est prévu et ce qui est vécu : car l’expérience corporelle est une perception biosubjective, le corps ne vivant pas de la même façon ce qui est mis en activité physiquement en lui ; cette perception n’est pas objective car elle ne correspond pas à l’activité physique mais au vécu personnel ; ainsi comme il ne suffit pas de voir un exercice pour l’imiter parfaitement, il ne suffit pas de vivre une pratique corporelle pour la connaître en elle-même. C’est à travers notre corps dansant que l’expérience de la pratique est vécue.

Comment qualifier ce vécu de l’expérience dansante dès lors qu’il est constitutif de la sensibilité de chacun et ne relève que de sa perception ?

  • Rôle et interprétation dans la danse contemporaine, par Uwe Behrens

Quand Ann Darrow danse avec King Kong dans le film éponyme de Peter Jackson, c’est l’actrice australienne Naomi Watts qui glisse sur un petit lac gelé, dans une ambiance romantique, avec la célèbre bête. Elle interprète un rôle. Aujourd’hui, dans la danse contemporaine, le constat que les danseurs interprètent un rôle ne se fait plus si facilement que c’était encore le cas dans les grands ballets narratifs. Sylvie Guillem par exemple a dansé les rôles principaux dans Roméo et JulietteCendrillonRaymonda ou bien Le Lac des Cygnes. La trilogie Fra Cervello e Movimento d’Emio Greco, en revanche, est une recherche dansée. En quoi consiste la fonction du danseur aujourd’hui, s’il n’interprète plus un personnage fictif ou réel ?

  • La communication kinesthésique par la danse et la musique, Noël Carroll et Margaret Moore

Les danseurs et les chorégraphes ont beaucoup parlé de communication kinesthésique. Cependant, cette notion a été critiquée par certains comme étant un obscurcissement ou une mystification artistique. Dans notre article, nous tenterons de la défendre. Nous essaierons de montrer comment la danse et la musique, prises ensemble ou individuellement, contribuent aux sensations de mouvement dans le corps des spectateurs, qui accomplissent ainsi la communication kinesthésique. Nous soutiendrons notre hypothèse, en partie, en faisant référence aux travaux récents en sciences cognitives.

 
  • Colloque organisé par Roger Pouivet, Julia Beauquel et Sebastien Rehault, en partenariat avec le Centre Culturel André Malraux.
  • Organisé par le laboratoire d’Histoire des Sciences et de Philosophie - Archives Poincaré (CNRS), Nancy-Université (Université Nancy 2) en partenariat avec le Centre Culturel André Malraux (Scène nationale), dirigé par D. Répécaud)
  • Roger Pouivet, Julia Beauquel et Sebastien Rehault

Comité Scientifique :

  • Catherine Z. Elgin (Harvard University)
  • Gerhard Heinzmann (Archives Poincaré)
  • Graham McFee (University of Brighton & California State University)
  • Jacques Morizot (Université de Provence)
  • Roger Pouivet (Archives Poincaré)
Document: