Les lundi 30 et mardi 31 mai de cette année, dans la salle internationale de la MSH Lorraine, se tiendront les Journées scientifiques des archives Henri Poincaré (JSAP).
Le principe de cette manifestation annuelle est de rassembler l'ensemble des membres des archives (chercheurs comme doctorants) autour de communications de recherche. Cette année nous aurons également le plaisir d'accueillir des contributions des membres de l'Institut de Recherches Interdisciplinaires sur les Sciences et la Technologie (IRIST) de Strasbourg. Pour les doctorants, ce rendez-vous est une opportunité d'exposer leurs travaux et de bénéficier d'un retour sur leurs avançées. Pour les chercheurs, c'est l'occasion de présenter une publication récente (livre ou article) à leur pairs.
Plus généralement, les Journées permettent à chacun de prendre connaissance des derniers travaux réalisés par les membres de ces deux laboratoires. Cet évenement est essentiel pour la cohérence des recherces effectuées au sein des archives : il constitue un lieu d'échange privilégié pour ses représentants.
- Alexandre Declos
- Valeria Giardino
- Johanna Gouzouazi
- Alexandre Hocquet
- Philippe Lombard
- Martine Paindorge
- Armelle Line Peltier
- Samuel Provost
- Laurent Rollet
- Florent Schoumacher
- Guillaume Schuppert
- Fréderic Wieber
- Françoise Willmann
Lundi 30 mai
(par ordre alphabétique)
Alexandre Declos :
La métaphysique du 'vleu'
Si la chose est peu connue, les premiers travaux de Nelson Goodman ont anticipé, par bien des aspects, les discussions de la métaphysique analytique contemporaine. Sa thèse de doctorat A Study of Qualities (1940) de même que son premier livre, La Structure de l’Apparence (1951), contiennent une défense du perdurantisme (la thèse selon laquelle les objets persistent dans le temps en vertu du fait de posséder des parties temporelles) ainsi que de l’universalisme méréologique (la thèse selon laquelle toute collection de choses, quelle qu’elle soit, constitue un objet composite réel).
Valeria Giardino :
L’imagination manipulatoire en mathématiques : quel type d’imagination est-elle ?
L’objectif de mon exposé est double. Tout d'abord, je présenterai la notion d'imagination manipulatoire comme particulièrement saillant en mathématiques. Deuxièmement, je vais discuter de ses relations avec d'autres notions d'imagination qui ont été récemment proposées dans la littérature.
Dans des travaux antérieurs, nous avons analysé la pratique de la topologie. À la suite de notre analyse, nous avons proposé que les experts en topologie apprennent à utiliser ce que nous avons défini imagination « manipulatoire ». Une telle forme de l'imagination est au cœur de nombreux domaines de la topologie, par exemple la théorie de nœuds (De Toffoli & Giardino, 2014), la topologie de baisses dimensions (De Toffoli & Giardino, 2015) et la théorie des tresses (De Toffoli & Giardino, à paraître). Si cette imagination manipulatoire existe, et peut-être elle est utilisée aussi dans d'autres domaines des mathématiques en dehors de la topologie, quel type d'imagination est-elle ? En se fondant sur la taxonomie proposée récemment par Dokic & Arcangeli (2015), l'objectif de la deuxième partie de mon exposé sera de discuter à quelle catégorie d’imagination expérientielle une telle imagination appartient.
Johanna Gouzouazi :
La géo-ingénierie : interroger les discours sur la construction d'un monde au climat contrôlé
Parler d'intervention climatique revient à parler d'un monde futur en terme de contrôle humain, d'un Anthropocène assumé, et ce afin de contrer les effets-mêmes d'un changement climatique mondial d'origine anthropique. Nous nous proposons d'interroger quel monde les discours de l'intervention climatique cherchent à légitimer et à construire, et plus particulièrement en ce qui concerne l'appréhension des échelles de temps et d'espace. Nous considérons ainsi que parler des potentialités technologiques modélisatrices d'un nouveau monde revient à fabriquer déjà une définition du monde présent, en proie à la catastrophe climatique. Nous approcherons cela par l'analyse des discours, portant sur un corpus formé d'articles scientifiques et de rapports experts écrits à destination des décideurs politiques (rapports du Groupement Intergouvernemental d'experts sur l’Évolution du Climat, GIEC).
L'histoire des sciences du climat met en lumière un rêve d'hubris, un fantasme de contrôle complet par l'Homme sur le climat planétaire (Fleming, 2010). Le développement des connaissances et des technologies durant la Guerre Froide a permis d'envisager et de développer la recherche sur les techniques permettant un contrôle global du climat, en particulier avec le perfectionnement des techniques de modélisation liées à la nécessité de prédire les effets des retombées radioactives lors d'un hiver nucléaire (Dörries, 2011). Les potentialités de différents scénarios d'ingénierie climatique font l'objet d'un regain d'intérêt sur les scènes scientifiques et politiques depuis la deuxième moitié des années 2000. Plus particulièrement depuis le sommet de Copenhague en 2009, considéré comme un échec et marqué par l'expression d'un pessimisme accru quant à un accord international portant sur l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre (Aykut & Dahan, 2015, p. 325-398).
Les articles parus depuis 2006 sur l'ingénierie climatique développent différentes façons de parler et métaphores du recours à l'intervention sur le climat ainsi que de la planète (ou du système Terre) comme un tout (Nerlich & Jaspal, 2012). Qu'il s'agisse de rapports modérés ou prudents rédigés par des comités d'experts, d'articles écrits par des défenseurs du recours à la géo-ingénierie (le chimiste et Prix Nobel Paul Crutzen, par exemple) ou de détracteurs (tel qu'Alan Robock, en sciences atmosphériques), il est intéressant d'interroger les images qu'ils évoquent afin de comprendre les visions du monde, de la catastrophe ou de l'urgence qu'ils souhaitent susciter. Il nous paraît indispensable de ne pas laisser le débat dans le seul registre technique, mais de le décloisonner à l'aide de méthodologies issues des sciences sociales afin d'interroger les tentatives de production de nouveaux ordres symboliques (Gusfield (1981), 2009) visant à justifier de futures gouvernances du climat.
Alexandre Hocquet et Fréderic Wieber :
« Only the initiates will have the secrets revealed » : débats entre chimistes autour de l'ouverture des logiciels scientifiques
La citation dans le titre, issue d'une liste de diffusion scientifique (Computational Chemistry List), illustre d'une façon directe et peu formelle, typique d'une telle liste, en quoi le logiciel peut être source de tensions dans une communauté scientifique. La communauté sur laquelle nous nous pencherons est celle de la chimie computationnelle, science qui s'est développée à partir des années 1980 autour de l'utilisation de l'ordinateur en chimie.
Si l'on dispose de différentes études sur les rapports entre science et ordinateur, si l'on dispose aussi de nombre de travaux sur l'histoire du logiciel en général, l'histoire du logiciel dans les communautés scientifiques n'a que peu, à notre connaissance, été abordée.
Le développement d'outils logiciels en chimie est source de multiples débats pour les scientifiques impliqués. Produire, utiliser, diffuser du logiciel, en assurer aussi la maintenance, conduit les acteurs à s'interroger sur ce que peut et doit être l'activité scientifique, sur le caractère explicatif et/ou prédictif des méthodes développées, sur les rapports entre méthodes et logiciels, sur la rétribution du travail de codage, sur le brevet et la propriété intellectuelle, sur la marchandisation des produits de leurs recherches et l'idéal d'ouverture de la science qu'ils peuvent porter.
Dans le cadre de notre intervention, nous présenterons la liste de diffusion (CCL) que nous utilisons, et nous analyserons deux fils de discussion qui montrent bien comment les questions des méthodes, du code, de la reproductibilité des résultats, de la propriété intellectuelle, et de la commercialisation des logiciels sont articulées et sources de tensions pour les scientifiques. Finalement, au-delà de notre exemple, nous souhaitons montrer l'intérêt pour l'histoire et la philosophie des sciences contemporaines de prendre les logiciels scientifiques (aussi bien du point de vue des pratiques de modélisation que d'instrumentation) pour objet.
Philippe Lombard :
La cité idéale
L'exposé se proposera de parler de la nature des "objets mathématiques" et du "platonisme ontologique" en mathématiques à la lumière du travail des peintres du quattrocento.
Martine Paindorge :
De l'usage des archives technologiques et industrielles : quelques exemples
Récemment arrivée dans le laboratoire, je souhaite présenter mes travaux antérieurs et ceux que je commence à développer dorénavant.
Les premiers recueils, des données orales et écrites comme trace de l'activité d'enseignants du primaire, et du secondaire ont permis d'étudier la progressivité des notions de fonction, de qualité et d'information dans les disciplines technologiques prescrites ou mises en œuvre dans la période 1995-2004.
Ensuite, c'est l'analyse de bulletins d'associations de spécialistes qui a montré l'influence du point de vue des acteurs, des actions qu'ils entreprennent pour la définition des contenus d'enseignement. Au cours de la recherche, plusieurs collections inédites (1908- 2010) ont été rassemblées. A l'issue du projet, la plate-forme Arthèque (artheque.ens-cachan.fr) a été élaborée avec pour objectif la mise à disposition des documents mais aussi leur valorisation par des parcours de lecture.
Les questions de formation restent au cœur de mes prochaines recherches, avec l'étude du centre de formation de Bataville, construit en 1932, à proximité de l'usine de fabrication de chaussures. Les archives de l'entreprise, celles d'anciens employés, d'associations permettront de mieux connaître les contenus et ceux qui les enseignent dès lors qu'ils se situent dans un milieu industriel. Ce projet, en cours de rédaction, s'inscrit dans un cadre pluridisciplinaire, avec la participation de plusieurs laboratoires.
Armelle Line Peltier :
Le Livre Rouge de Carl Gustav Jung : relation entre faits nouveaux et théorie
Nous présenterons une analyse épistémologique du Livre Rouge du psychiatre suisse Carl Gustav Jung (1875-1961). Cet ouvrage se présente sous la forme d'un codex moyenâgeux calligraphié et peint de sa main, représentant pour lui la « matière première pour l’œuvre d'une vie ». Il contient le récit de sa confrontation avec les visions de son inconscient (1913-1916) qu'il retranscrivit sous forme de codex (1915-1930), sans jamais l'achever. Publié pour la première fois en 2009, cet ouvrage serait donc la source d'où découla tout son travail scientifique.
Notre analyse épistémologique insistera sur le rapport de la création du Livre Rouge avec et les contenus de ce dernier. C'est pourquoi nous questionnerons le lien entre l'expérience psychique et ses résultats en ce que l'entreprise globale présenta à Jung de nouveaux faits non pris en compte par les théories qu'il connaissait et utilisait. Dans un premier temps, nous expliciterons en détails la création de l'ouvrage et la méthodologie anarchiste utilisée par Jung pour y aboutir. Nous parlerons également des contenus symboliques scientifiques du livre. Dans un second temps, nous analyserons cette expérience comme un fait nouveau et original pour lui, venant chambouler ses conceptions et connaissances du psychisme humain et plus particulièrement de l'inconscient. Enfin, dans un troisième temps, nous lierons l'inscription de cette expérience au sein du Livre Rouge à une forme de témoignage d'une construction d'une nouvelle hypothèse. Cette dernière fut novatrice pour Jung et la psychologie de son temps, englobant des faits déjà établis et mais aussi des nouveaux, permettant alors la construction d'un système théorique inédit qui devint plus tard la psychologie analytique.
Samuel Provost :
Une contribution singulière à la construction d’une bibliothèque spécialisée à la Belle Époque : le rôle de Paul Perdrizet dans le développement de la Bibliothèque d'art et d’archéologie J. Doucet de 1908 à 1914
Paul Perdrizet (1870-1938), professeur d’archéologie et d’histoire de l’art à la faculté des lettres de Nancy (de 1899 à 1918), dut à son amitié avec le critique d’art et bibliothécaire René-Jean (1879-1951) d’être associé dès le début de l’entreprise à la création de la Bibliothèque d'art et d’archéologie, en 1908. Cette institution parisienne, voulue et entièrement financée par le couturier Jacques Doucet, devint en quelques années la plus importante bibliothèque ouverte aux chercheurs dans ce domaine, bien qu’entièrement privée — avant d’être donnée à la Sorbonne pour constituer le fonds de départ de l’Institut d’histoire de l'art. L’édition de la correspondance volumineuse entre les deux hommes (300 lettres pour la seule période 1908-1914) permet d’étudier comment Paul Perdrizet, rémunéré comme conseiller, guida la politique d’acquisition de la bibliothèque, dont il était, par un système de prêts généreux, l’un des premiers bénéficiaires.
Laurent Rollet :
Ma chère maman : les lettres de jeunesse d’Henri Poincaré (1873-1878)
Les Archives Poincaré sont engagées depuis leur création dans l’édition de la correspondance scientifique, administrative et privée d’Henri Poincaré. Le cinquième volume, en cours d’achèvement, rassemble l’ensemble des lettres envoyées par le mathématicien à sa famille durant ses années de formation à l’École polytechnique puis à l’École des mines de Paris. De 1873 à 1878, Poincaré écrit plus de 300 lettres à sa mère, à sa sœur et à son père. Une part importante de cette correspondance concerne ses études pour devenir ingénieur. Poincaré évoque ainsi les différents événements – importants ou anodins – qui ponctuent son parcours de formation dans les deux écoles : les cours et les examens, les voyages d’études en France et à l’étranger, les relations avec les professeurs, les rituels étudiants, la naissance de sa vocation pour les mathématiques. Cependant, ces lettres de jeunesse permettent également de reconstituer les réseaux familiaux et amicaux de Poincaré ainsi que l’univers socio-culturel dans lequel il évolue dans les années 1870. Elles fourmillent donc de récits pittoresques sur ses visites mondaines, sur ses relations avec sa sœur ou ses amis d’enfance, sur ses loisirs ou sur ses convictions politiques. Ce corpus de lettres est constitué presque intégralement de lettres écrites par Poincaré. Elles dessinent un autoportrait inédit et saisissant du futur mathématicien. Dans cette intervention je propose une petite visite guidée et récréative des 322 lettres de cette correspondance.
Florent Schoumacher :
La contradiction chez Ludwig Wittgenstein et son acmé dans les "Remarques sur les fondements des mathématiques"
Il faut resituer le discours de Ludwig Wittgenstein sur la contradiction dans l' œuvre du philosophe. La réflexion sur cette notion est devenue prégnante à partir des années 1930 jusqu'au milieu des années 1940 et se manifeste particulièrement dans les "Remarques des fondements des mathématiques", lors de son enseignement à Cambridge.
Loin d'être une découverte pour lui, la notion de contradiction a été présente dès le "Tractatus logico-philosophicus" et perdurera dans la réflexion postérieure à cette période, même en moindre proportion.
Les réflexions sur la contradiction dans les fondements des mathématiques préfigurent finalement le "principe de tolérance" qu'élaborera Rudolph Carnap.
Pour Wittgenstein, les mathématiques sont "bigarrées" et éminemment anthropologiques. Dès lors, la contradiction peut apparaître dans les jeux de langage inhérents à la procédure mathématique, puisque la contradiction est fondamentalement humaine.
Deux solutions s'offrent à nous : soit revoir le calcul sans pour autant que l'ensemble de l'édifice élaboré s'effondre, soit admettre la contradiction dès la mise en place des règles du jeu.
Pourtant, malgré cette tolérance pour la contradiction, il semble difficile, de manière anachronique, que Wittgenstein ait pu souscrire à une logique paraconsistante. En effet, il défendra le principe de la bipolarité qui est un principe de bivalence fort.
Guillaume Schuppert :
Engagement (fictionnel) et résistance (imaginative)
Le phénomène de « résistance imaginative » consiste, pour celui qui fait l'expérience d'une fiction, à se trouver incapable de ou réticent à s'engager dans l'activité imaginative prescrite par l'œuvre. Dans cet exposé, je proposerai un état des lieux des discussions portant sur cette notion, en supposant qu'elle est au principe de l'engagement fictionnel (et non en porte-à-faux de celui-ci). Fort de ces prospections, je proposerai de caractériser l'engagement fictionnel en termes d'appréciation ou d'interprétation des principes de la fictionalité.
Françoise Willmann :
Emil du Bois-Reymond (1818-1896) et l’écriture de la science
Manifestation organisée par Stefan Jokulsson