La question du statut de l’intuition et de son rôle dans la connaissance, aussi bien au sein du kantisme que chez les grands lecteurs de Kant qui se sont référés à cette thématique, soulève des problèmes théoriques particulièrement féconds. Par exemple, Kant présente l’intuition comme la dimension passive, réceptive, de notre connaissance. Il suppose qu’il existe des choses qui nous affectent et dont nous ne connaissons que les manifestations sensibles, les phénomènes, sur le mode intuitif et réceptif. Pour penser l’intuition comme réceptivité, Kant a besoin de poser des choses en soi qui affectent notre âme par le biais des organes sensoriels. Or l’existence de choses en soi causant des sensations en nous est problématique, car par ailleurs Kant soutient que les catégories d’existence et de causalité ne peuvent s’appliquer qu’aux phénomènes. De quel droit poser des choses en soi ? Et de quel droit concevoir l’intuition empirique comme l’effet produit par ces choses en soi sur notre sensibilité ?
Un autre problème concerne le statut proprement « réceptif » de l’intuition : en effet, est-il possible d’avoir l’intuition d’un objet quelconque indépendamment des catégories qui nous servent à organiser nos sensations ? Pour avoir l’intuition d’un objet quelconque, l’activité organisatrice de notre entendement n’est-elle pas nécessairement impliquée ? D’où le problème : peut-on penser l’intuition, avec Kant, comme stricte passivité et immédiateté, en l’opposant à la pensée ? Ne suppose-t-elle pas au contraire l’activité de cette dernière ? Identifier un objet par l’intuition, n’est-ce pas toujours rapporter une impression sensorielle à sa cause (catégorie de l’entendement) hors de nous ? L’intuition peut-elle se produire indépendamment des concepts ou bien est-elle toujours médiatisée et constituée par eux ?
Ce type de problèmes lié au statut de l’intuition a suscité de nombreuses critiques et réaménagements de la part des grands lecteurs de Kant, et bien souvent cette critique les a conduits à développer leur propre conception, plus ou moins originale, du statut et du rôle de l’intuition non seulement dans la connaissance, mais également dans d’autres champs de l’activité humaine.
Aussi, nous proposons dans la cadre du projet sur « le débat réalisme / antiréalisme depuis Kant » d’organiser deux journées sur le thème de l’intuition, qui comprendront des communications consacrées aussi bien à la théorie proprement kantienne de l’intuition et aux difficultés qu'elle soulève, qu’aux reprises critiques de cette thématique faites par ses successeurs.
L’un des intérêts de ces journées d’étude est de montrer comment différents courants philosophiques (pragmatisme, conventionnalisme, fictionalisme, etc.) se constituent à travers un débat avec Kant, qui se concentre précisément sur le statut de l’intuition. Il s’agit d’autre part de montrer comment l’intuition intervient dans divers champs de l’activité humaine, théorie de la connaissance, sciences humaines (géographie), art, mathématiques. Ainsi, des spécialistes de divers champs disciplinaires collaboreront à la problématique du statut de l’intuition et de ses différents usages.
Notons que cette thématique est susceptible d’intéresser de nombreux étudiants et doctorants. La problématique de l’intuition traverse l’histoire de la philosophie depuis ses origines, et continue d’être au cœur de nombreuses discussions philosophiques contemporaines. Les étudiants seront par conséquent invités à participer au colloque.
Cette étude prolonge les travaux menés par le groupe de recherche international sur le néokantisme, rattaché à l’axe 3 des Archives Poincaré, centrés sur la réception du criticisme en France et en Allemagne. Elle apporte une contribution importante au projet de donner une image plus riche et plus complexifiée de l’histoire de la philosophie allemande et française dans son lien à l’héritage kantien.
- Jocelyn-Benoist, Université Paris 1, Jocelyn.Benoist@univ-paris1.fr
- Christian Bonnet, Université Paris 1, chribonnet@orange.fr
- Christophe Bouriau, Université de Lorraine, Archives Poincaré, Christophe.Bouriau@univ-lorraine.fr
- Charles Braverman, Archives Poincaré, bravermancharles@hotmail.com
- Jean-Marie Chevalier, Collège de France, jeanmariechevalier@yahoo.fr
- Gerhard Heinzmann, Université de Lorraine, Archives Poincaré, Gerhard.Heinzmann@univ-lorraine.fr
- Philippe Nabonnand, Université de Lorraine,Archives Poincaré, Philippe.Nabonnand@univ-lorraine.fr
- Marie-José Pernin, professeur de chaire supérieure retraitée, mjl.pernin@orange.fr
- Valérie Seroussi, professeur de chaire supérieure, Lycée Poincaré, caton.753@live.com
- Lukas Sosoe, Université du Luxembourg, lukas.sosoe@uni.lu
- Peter Welsen, Université de Trêves, welsen@uni-trier.de
- Patrick Wotling, Université de Reims, p.wotling@sfr.fr
JEUDI 16 OCTOBRE
9h00-9h30
Philippe Nabonnand
Poincaré critique du « synthétique a priori » kantien
9h45-10h15
Charles Braverman
Ampère lecteur de Kant : une reprise éclectique de la notion d'intuition
10h30-10h45
Pause
10h45-11h15
Christian Bonnet
L’intuition selon Schlick
11h30-12h00
Jean-Marie Chevalier
La critique et la réappropriation de l'intuition kantienne par Peirce
12h15-14h00
Repas CROUS Monbois
14h00-14h30
Christophe Bouriau
L'intuition et la chose en soi, un couple problématique
14h45-15h15
Jocelyn Benoist (Univ. Paris 1)
L'intuition sans le mythe du donné ?
VENDREDI 17 OCTOBRE
9h00-9h30
Lukas Sosoe
Le concept d'intuition chez G.E. Moore et les fondements de l'éthique
9h45-10h15
Gerhard Heinzmann
Kant et l'intuition épistémique
10h30-10h45
Pause
10h45-11h15
Valérie Seroussi
L'intuition chez Kant géographe
11h30-12h00
Peter Welsen
Schopenhauer critique de l'intuition kantienne
12h15-14h00
Repas CROUS Monbois
14h00-14h30
Marie-José Pernin (Prof. De Chaire Supérieure)
L’idée esthétique comme objet d’intuition : Kant, Schopenhauer, Nietzche.
14h45-15h15
Patrick Wotling (Univ. Reims)
L'usage nietzschéen de la notion d'intuition
15h30-16h00
Discussion et bilan des deux journées
Manifestation organisée par : Christophe Bouriau, Oliver Schauldt et Pierre Edouard Bour