Ces Journées d’étude visent à discuter une thèse originale soutenue par le célèbre sociologue et philosophe des sciences David Bloor à propos des mathématiques : la thèse selon laquelle les preuves et les résultats mathématiques (et logiques) sont contingents, dans le même sens et pour les mêmes raisons que les justifications et les résultats empiriques mis en jeu dans les sciences de la nature.
Cette thèse, qui tranche avec la conception dominante des mathématiques comme royaume de la nécessité, a été introduite par Bloor dès les années 1970, puis développée par lui dans un certain nombre de travaux ultérieurs, mais est restée très largement ignorée au sein de la communauté des philosophes des mathématiques et plus largement des sciences. Même Ian Hacking, internationalement reconnu comme celui qui a le premier introduit et conceptualisé, au tournant des années 2000 en philosophie des sciences empiriques, l’opposition entre les conceptions « contingentistes » et « inévitabilistes » des résultats établis par les sciences de la nature, et qui s’est par la suite lui-même penché sur l’application de cette opposition au cas des mathématiques, semble ignorer les propositions « contingentistes » pionnières de Bloor à propos des sciences formelles (Bloor lui-même n’utilise pas le lexique hackinguien du « contingentisme » mais ses thèses se laissent très naturellement reconceptualiser en ces termes).
Cette situation interroge. Elle est d’autant plus regrettable que les analyses et arguments de Bloor appliqués aux mathématiques et à la logique, très élaborés et développés avec rigueur, s’avèrent, à divers égards significatifs, structurellement similaires à ceux que Hacking et ses successeurs ont appliqué à la physique, à la biologie, ou à d’autres sciences empiriques, ce qui suggère des rapprochements potentiellement féconds, d’un point de vue épistémologique, entre sciences formelles et sciences empiriques (par exemple, la question et les difficultés d’une mathématique « alternative » présentent des parentés essentielles avec celles d’une physique « alternative »).
La philosophie des sciences a tout à gagner à engager une discussion systématique et approfondie des propositions « contingentistes » de Bloor à propos des mathématiques plutôt que de les ‘traiter comme inexistantes’. Le récent développement de la « philosophie des pratiques mathématiques » constitue un contexte propice à cette discussion.
Les journées d’étude discuteront en détails les propositions de Bloor avec la volonté d’engager des comparaisons instructives entre sciences formelles et sciences de la nature. Du point de vue de ces comparaisons, les compétences diversifiées des membres des Archives H. Poincaré dans les domaines de la philosophie et de l’histoire des mathématiques et de la logique d’une part, des sciences de la nature d’autre part, seront mises à profit pour aborder de manière pluridisciplinaire le problème de la contingence/inévitabilité dans les sciences.
Manifestation organisée par Léna Soler at Andrew Arana