Dans Langages de l’Art, le philosophe Nelson Goodman identifie deux principales voies de la référence : la dénotation et l’exemplification. Un symbole dénote quelque chose dans le monde lorsqu’il y fait référence. Le mot « bleu » désigne l’ensemble des choses bleues. Un symbole exemplifie au contraire une propriété lorsqu’il possède réellement cette propriété et qu’il y renvoie (i.e. lorsque la possession de cette propriété n’est pas purement accidentelle). Par exemple, le symbole verbal rouge exemplifie la propriété d’être rouge, d’être en français et en police Unistra A bien qu’il ne dénote pas les choses rouges, les mots français ou une police particulière. Les images comme les mots ou les étiquettes verbales peuvent dénoter ou exemplifier des choses et des propriétés. Le portrait de Machiavel par Santi di Tito dénote un philosophe politique de la renaissance italienne et exemplifie toutes sortes de propriétés d’image (de couleur, de texture, d’ordre) qui pourront servir à le classer comme tel ou tel type d’image, appartenant à telle ou telle période historique, attribuable à tel ou tel artiste.
Bien sûr, ce qu’une image exemplifie comme propriétés, dépend fortement du contexte. Un même symbole peut fonctionner différemment selon la manière dont il est reçu et conçu. Un dessin de fleur, quoiqu’il dénote par ailleurs, peut dans certains contextes exemplifier certaines propriétés de dessin ou de touche. Ce sont ces propriétés qui permettent d’identifier des styles picturaux et qui donnent une valeur esthétique au symbole. En revanche, dans d’autres contextes, le dessin va exemplifier des propriétés de composition ou d’ordre entre les différents éléments de la fleur. Nous pouvons dire pour cette raison que le dessin sert d’exemple pour désigner une espèce botanique plutôt qu’une autre. Pour un historien enfin, ce même dessin va exemplifier des propriétés temporelles : avoir été réalisé à telle période, etc. Dans ce cas, le dessin fonctionne selon d’autres normes épistémiques encore. Ce qu’une image exemplifie exactement comme propriétés est la plupart du temps défini par l’usage.
Le rôle fondamental de l’exemplification en sciences et dans les arts a été mis en avant récemment par de nombreuses études en épistémologie et en histoire de l’art. Certaines questions, bien sûr, demeurent irrésolues : Pouvons-nous fixer des critères qui permettent de définir exactement, et dans toutes les situations, le genre de propriétés qu’exemplifie une image ? Pouvons-nous clarifier le rôle que jouent l’habitude, le contexte et les usages dans la détermination de cette voie référentielle ? L’usage joue-t-il un rôle plus accentué dans l’exemplification que dans la dénotation ? Qu’est-ce que cela change lorsque l’exemplification est imagée ou textuelle ? Certaines images endossent-elles plus que d’autres un rôle exemplificationnel (images scientifiques, artistiques ou informationnelles) ? Une image peut-elle n’endosser qu’une fonction d’exemple, sans dénoter quoi que soit (un peu à la manière d’un échantillon) ? Qu’est-ce qu’être un mauvais exemple ? Ce qu’une image exemplifie comme propriétés peut-il évoluer dans le temps ? Cela change-t-il quoi que ce soit à l’identité de l’image et éventuellement à sa compréhension ou sa conservation (s’il s’agit d’une œuvre d’art) ? Que se passe-t-il lorsqu’une image exemplifie métaphoriquement une propriété ? Comment ce concept « d’exemplification » permet-il d’éclairer d’autres concepts décisifs de la science des images ou de l’épistémologie : exemplarité, style pictural, objectivité, information ?
Nous aimerions que cette journée d’étude embrasse à la fois des études empiriques et des analyses conceptuelles sur l’exemplification imagée. D’un point de vue empirique, on pourra se demander quelles sont les propriétés que doivent avoir les images issues de certains laboratoires (nanosciences, astrophysique, chirurgie ou paléontologie) en vue de constituer des exemples ? Qu'exemplifient- elles ? Pourquoi ? Ces interrogations pourraient bien sûr, avec un égal souci d’empiricité, être transposées à d’autres formes d’images (les croquis et dessins d’architectes, les diagrammes, les cartes, les images publicitaires et bien sûr les images artistiques). D’un point de vue conceptuel enfin, il serait opportun de contribuer à une clarification de la notion d’exemplification à partir d’une réflexion sur les images : interroger les rapports que cette notion d’exemplification entretient avec celles de dénotation, d’expression ou encore d’échantillon, de ressemblance et de schématisme.
Jeudi 23 septembre
Matinée
10h00 Accueil des participants et mot d’introduction
10h30 Sarah Calba (Université de Strasbourg, AHP-PReST UMR 7117) :
De quoi les images produites par les intelligences artificielles sont-elles exemplaires ?
11h15 Pierre Leveau (Université d’Aix Marseille, Centre Gilles Gaston Granger, UMR 6304) :
Les macrophotographies de la Joconde : exemples, indices et symptômes9h30 Catherine Allamel-Raffin et Jean-Luc Gangloff (Université de Strasbourg, AHP-PReST UMR 7117) :
Les images dans les publications scientifiques : un point de vue fonctionnel
12h00 Jean-François Diana (Université de Lorraine, CREM EA 3476) :
Penser la valeur esthétique des images par l’exemple
Après-midi
14h00 Alexis Anne-Braun (Université de Franche-Comté) :
Des photographies exemplaires : l’image, le réel et la norme
14h45 Jim Gabaret (Université Paris 1, ISJPS UMR 8103) :
Une chose peut-elle être à la fois objet et exemple d’elle-même sans exemplification d’un sujet ? Le réalisme de Ferraris contre le constructivisme de Goodman
15h30 Pause
15h45 Guillaume Decauwert (Université de Grenoble, IPHIG-EA 3699)
Monstration et exemplification : les paradoxes de l’identité de l’image dans la première philosophie de Wittgenstein
16h30 Hervé Gaff (École National Supérieure d’Architecture de Nancy, LHAC) :
Portée et rôle de l’exemplification dans la signification par l’image et entre images
Vendredi 24 septembre
Matinée
10h30 Céline Ruffin-Bayardin (Université Paris-Diderot, SPHERE UMR 7219) :
Une image peut-elle exemplifier le temps ?
11h15Nephtys Zwer (Groupe de recherche indépendant Visionscarto) :
Les cartogrammes de l’Isotype
Après-midi
14h00 Pauline Chevalier (Université de Bourgogne-Franche-Comté ; conseillère scientifique en délégation à l’INHA, InTru EA 6301) :
Notation géométrique et visualisation du ballet équestre : une exemplification de la fête et du pouvoir princier par l’abstraction
14h45 Delphine Desveaux (Bibliothèque historique de la ville de Paris ; directrice des collections Roger-Viollet) :
Y a-t-il une bonne ou une mauvaise « image » lorsque qu’une agence choisit d’en conserver quelques huit millions ? Des exemples au sein des Collections Roger-Viollet
15h30 Pause
15h45 Victor Monnin (Université de Strasbourg, AHP- PReST UMR 7117) :
Pour une histoire du paléo-art
16h30 Catherine Allamel-Raffin et Jean-Luc Gangloff (Université de Strasbourg, AHP- PReST UMR 7117) :
Les images dans les publications scientifiques : un point de vue fonctionnel
17h15 Discussion finale
Manifestation organisée par Catherine Allamel-Raffin (AHP-PReST), Alexis Anne-Braun (Université de Franche-Comté), Sarah Calba (Laboratoire Hyperthèses et AHP-PReST), avec le soutien du Conseil scientifique de l'université de Lorraine et de la Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme Alsace.