Le cycle des Grandes Conférences des Archives Henri Poincaré est conçu comme un espace de rencontre entre chercheurs et grand public.
Il couvre de nombreux champs disciplinaires : philosophie, épistémologie, éthique, histoire des sciences et des techniques, histoire des institutions, sociologie des sciences et des organisations, etc.
Les conférences ont lieu alternativement sur les sites nancéiens et strasbourgeois des Archives Henri Poincaré.
- Nancy : Université de Lorraine, Campus Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Lorraine, place Godefroy de Bouillon, bâtiment G, salle G04, rez-de-chaussée.
- Strasbourg : les conférences ont lieu dans différentes salles de l'université, en fonction des séances.
Les conférenciers prévus en 2022-2023 sont, dans l’ordre alphabéthique : Fabrice Correia, Sebastien Gandon, Philippe Huneman, Clémence Lebosse, Anna Marmodoro, Hugo Mercier, Liesbeth de Mol, Juliette Kennedy, Roberto Poma, Roger Pouivet et Stéphanie Ruphy.
Les conférences ont lieu de 18 heures à 20 heures à Nancy et de 17 heures à 19h00 à Strasbourg.
Entrée libre, dans la limite des places disponibles.
Toutes les conférences peuvent être suivies en direct sur internet. En raison de la situation sanitaire certaines conférences seront programmées uniquement à distance. Inscrivez-vous ici pour recevoir des informations de connexion avant chaque conférence. Pour plus de détails, écrire à Anna C. Zielinska.
Enregistrement des conférences sur la plateforme vidéo des AHP – cliquez ici.
– Programme des séances 2022-2023 –
21 septembre 2022 (à Nancy) | Roberto Poma (Université Paris Est-Créteil)
Qu’est-ce que la science doit à l’utopie ?
Résumé
Bien avant les projets de cryogénisation à la fin du XXe siècle, le désir de dépasser, à l’aide de la science, les inconforts ou la finitude de la condition humaine anime depuis le Moyen Âge un nombre grandissant de savants. On conçoit depuis le XIIIe siècle la fabrication d’automates de compagnie, de machines pour voler dans les airs ou d’élixirs de longue vie sans disposer des moyens, scientifiques et techniques, nécessaires pour leur mise en œuvre. Nous proposons d’appeler utopies scientifiques ces objets de recherche, créés par l’imagination scientifique, dont la réalisation est impossible au moment où on les conçoit et nous allons essayer d’en montrer l’importance au début de l’époque moderne.
12 octobre 2022 (en ligne) | Juliette Kennedy (Université d'Helsinki) – voir en ligne
On the problem of cultural influence
Resumé
In 1936 Church coined the phrase “Turing Machine” to describe Turing’s mathematical model, and in so doing he enabled one of the oldest and most powerful metaphors ever to enter the sciences---the machine metaphor.
1936 was a watershed year for computability. Debates among Gödel, Church and others over the correct analysis of the intuitive concept “human effectively computable,” an analysis at the heart of the Incompleteness Theorems, the Entscheidungsproblem, the question of what a finite computation is, and most urgently---for Gödel---the generality of the Incompleteness Theorems, which depends in turn on a precise understanding of the notion of “formal system”---were definitively set to rest with the appearance, in that year, of the Turing Machine.
Gödel was emphatically convinced by the adequacy of Turing’s model, where he had been previously unconvinced by the adequacy of all of the other models that had been proposed in the period 1931-36, including his own, the class of Herbrand-Gödel recursive functions; but Church and others had also expressed themselves in similar terms at the time, about their own systems, also in their later writings.
The mathematical facts are well known. The question I wish to explore in this talk is, do the mathematical facts exhaust what is to be said about the thinking behind the “confluence of ideas in 1936”? Or might there be still more to be said, and from another direction entirely, the direction of cultural influence?
The assimilation of Turing’s work occurred during a period of high Modernism in American culture; and within Modernism a high point of technological optimism, and what Caroline Jones, in her The Machine in the Studio, refers to as the technological sublime. And indeed, one cannot help noticing certain parallels between these events in the foundations of mathematics of the period, and developments central to the Modernist culture of the first half of the 20th century---a culture whose icon, if it could be thought of as having one, is surely the machine.
Conférence annulée – nous sommes désolés ! 9 novembre 2022 (à Nancy) | Fabrice Correia (Université de Genève)
Fondamental ? Mais en quel sens ?
Résumé
La notion de fondamentalité est très à la mode depuis quelques années en philosophie analytique, spécialement en métaphysique, en philosophie de l’esprit et en philosophie des sciences. Mais que dit-on lorsque l’on dit qu’une chose est fondamentale, ou qu’une chose est plus fondamentale qu’une autre chose ? Contrairement à ce que le laisserait supposer un grand nombre d’écrits philosophiques, il existe une multitude de réponses à cette question—autrement dit, il existe une multitude de concepts de fondamentalité. Au cours de ma présentation, je proposerai une petite cartographie de ces concepts, et je défendrai la thèse selon laquelle il faut absolument garder à l’esprit qu’il y a une telle variété de concepts de fondamentalité afin d’éviter de produire des théories vagues, ou carrément confuses.
7 décembre 2022 (à Nancy) | Sebastien Gandon (Centre Philosophies et rationalités, Université Clermont Auvergne) – voir en ligne
Russell global. Pour une histoire des réceptions de la philosophie analytique
Résumé
Deux modèles historiographiques coexistent en histoire de la philosophie analytique. Le premier, « tubulaire », distingue une succession de trois périodes : celle des origines (Frege, Russell), celle de la maturité (Carnap et le Cercle de Vienne), celle de la conquête (la diffusion de l’empirisme logique aux USA après la guerre). Le second modèle, « pluraliste quant aux sources », souligne que la philosophie analytique, telle qu’on la connaît actuellement, a de multiples origines (Bolzano, Brentano, l’école de Lvov-Varsovie, etc.) et que sa genèse ne saurait se résumer à une séquence uniforme de périodes bien identifiées.
M’inspirant de la révolution historiographique qu’ont connu les études sur les Lumières du XVIIIème siècle, j’aimerais proposer un troisième modèle, « pluraliste quant aux réceptions » : au lieu de remonter vers les sources de la philosophie analytique, je propose d’explorer les divers bassins qu’ont alimentés les œuvres de Frege, Russell, Carnap, Reichenbach, etc. Comment aux USA, en France, en Pologne, … mais aussi en Inde, en Chine, en Turquie, … les travaux de ceux qui se présentaient comme les héritiers des Lumières ont-ils été reçus ? Comment le rationalisme universaliste d’un Russell ou d’un Carnap, basé sur la logique, hostile à la métaphysique, s’est-il transformé lors de ses diverses acclimatations ? Dans mon intervention, j’illustrerai la fécondité de cette approche en me concentrant sur certaines des réceptions de Russell.
18 janvier 2023 (à Nancy) | Anna Marmodoro (Université de Durham / Corpus Christi College à l'Université d'Oxford) – voir en ligne
Power in nature
Resumé – la conférence se fera en anglais / the talk will be given in English
Si l’on suppose que la causalité maintient l’univers dans son ensemble, comme l’a clairement exprimé J. L. Mackie (1974), quel est le ‘moteur’ qui fait en sorte que les mécanismes causaux continuent à se déclencher? Cette question représente un défi important dans l’histoire de la philosophie, au point que certains philosophes ont préféré nier l’existence de la causalité comme étant un phénomène réel dans le monde. Cependant, à travers l’histoire de la philosophie, ceux qui ont estimé que les régularités causales sont différentes des régularités contingentes sur le plan métaphysique ont entreprisde réifier dans l’ontologie le ‘moteur’ de la causalité, en postulant l’existence de pouvoirs causaux. La causalité, pour les réalistes causaux, est l’exercice de pouvoirs causaux, qui sont des entités dynamiques dans l’ontologie en vertu desquelles les changements ont lieu dans le monde. Je soutiens que cette conception de la causalité introduit toutefois une ‘boîte noire’ épistémique, qui présente un défi ou même une limite à notre compréhension du monde physique ; or il ne s’agit pas là d’une raison de renoncer entièrement à une conception de la causalité basée sur la notion de pouvoir. Cette boîte noire est quelque chose de métaphysiquement primitif que l’on ne peut définir, mais dont on peut spécifier le comportement dans certaines circonstances. Je présente ce que j’appelle le ‘problème de la boîte noire’, et passe en revue certaines positions dans la littérature récente qui pourraient sembler proposer des solutions à ce problème ; j’évalue également la portée de cette question pour les partisans des pouvoirs causaux.
15 février 2023 (à Nancy) | Roger Pouivet (Archives Henri Poincaré – AHP-PReST, Université de Lorraine) – voir en ligne
Apologie de la métaphysique
Les philosophes modernes prétendent qu’il existe une rupture radicale entre la réalité et la pensée, entre les choses et les concepts, entre ce qui existe et le modèle de ce qui existe. Leur anti-réalisme est secondé par leur anti-réceptivisme : la thèse que le réalité n’est jamais, à proprement parler, le contenu de nos concepts ni la signification de ce que nous disons. Le rejet de tels présupposés (ou préjugés) de la philosophie moderne (et post-moderne) caractérise la tradition aristotélico-thomiste, telle qu’elle se développe aujourd’hui dans le thomisme analytique. Question : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Réponse : parce que Dieu existe. La métaphysique ainsi comprise est aussi une théologie rationnelle. D'une apologie de la métaphysique, on en vient à une apologétique.
1 mars 2023 (à Nancy) | Philippe Huneman (Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques – CNRS / Paris I Panthéon Sorbonne) – voir en ligne
Sélection naturelle et rationalité : la biologie évolutive, entre optimalité et physique
Résumé
L'évolution darwinienne est caractérisée par le rôle explicatif et causal de la sélection naturelle, facteur majeur de la transformation de la composition génétique des populations donc de l’évolution. Dans cette conférence, j'aborderai la complexité conceptuelle propre à cette notion apparemment toute simple de sélection naturelle. Je me demanderai dans quelle mesure elle est, comme le veut Darwin, l'explication fondamentale de l'adaptation des organismes à leur environnement; et avant même cela, j’examinerai le statut empirique ou bien purement conceptuel de cette question.
J'exposerai l'affinité entre l'idée de sélection comme explication de l'adaptation par maximisation de la valeur sélective ou fitness et la rationalité conçue par les économistes comme maximisation de l'utilité expliquant les décisions des agents. Je soutiendrai que l’affinité entre évolution et économie, inscrite dans la formulation de la théorie classique de l'évolution (dite Théorie Synthétique de l'Evolution) par la génétique des populations et l'un de ses fondateurs, Ronald Fisher, doit être tempérée par la présence d'un autre schème conceptuel, physiciste, lui aussi fondamental dans The Genetical Theory of Natural Selection (1930) du même Fisher. L’évolution se laisse penser, en effet, selon un double modèle issu de la physique: les forces agissant sur une population à la Newton, ou bien la dynamique d’un ensemble de particules à la manière de la mécanique statistique de Boltzmann.
Les difficultés de la théorie - en particulier l’impossibilité de fonder incontestablement le caractère optimisateur de la sélection, comme le voulait Fisher - ainsi que les alternatives théoriques radicales qui s’opposent encore aujourd’hui dans la modélisation et la théorie, résultent en partie de cette tension entre ce que j’appellerai des schèmes épistémiques distincts. Du moins sera-ce le thèse présentée ici en conclusion.
12 avril 2023 (à Nancy) | Clémence Lebosse (Archives Henri Poincaré – AHP-PReST, Université de Lorraine)
Education physique, sciences et gouvernement des corps au cours du second XXe siècle
Résumé
L’éducation physique et sportive (EPS) est une discipline d’enseignement qui se définit comme une pratique pédagogique constituée d’un corpus de savoirs enchevêtrés alliant les éclairages théoriques et scientifiques pluridisciplinaires aux données institutionnelles, aux connaissances techniques et technologiques des activités physiques et sportives. Il s’agit de réfléchir sur l’utilisation de certains savoirs scientifiques concourant à sa constitution et la manière dont ils circulent à travers des chaines d’acteurs et d’actrices de l’EPS au regard d’une politique du vivant visant, progressivement, au cours du second XXe siècle, à maximiser les dimensions physique et psychologique du capital humain pour assurer l’expansion économique. Par exemple, à partir des années 1960, le recours à certains experts en sociologie et en psychologie sociale favorise, dans le champ de l’EPS, la production d’un discours axé sur la promotion de rapports de pouvoir plus horizontaux et sur la sollicitation de la dimension subjective de l’individu, non sans questionner la contribution de cette discipline à la diffusion d’un nouveau mode de gouvernement des corps de la jeunesse : un gouvernement par soi-même selon les valeurs néolibérales montantes au cours des Trente Glorieuses.
19 avril 2023 (à Strasbourg) | Stéphanie Ruphy (Ecole normale supérieure – Université PSL, Paris / République des Savoirs / Centre Cavaillès)
Les mérites de la démocratie participative sont-ils transposables à la recherche scientifique ? Apports (et risques) des sciences participatives et citoyennes
Résumé
Les formes participatives de démocratie se multiplient aujourd’hui dans nos sociétés, tant aux échelles locales que nationales. La recherche scientifique ne fait pas exception à cette évolution générale vers une plus forte implication directe des citoyens dans de nombreux domaines de la vie publique et politique, comme en atteste la visibilité et le soutien institutionnel croissant dont bénéficient les « sciences participatives », les « sciences citoyennes » et autres formes d’enquête scientifique mobilisant des citoyens qui ne sont pas des chercheurs professionnels. Dans cette conférence, je discuterai des raisons principales avancées pour justifier le développement des sciences participatives et citoyennes. A quelles évolutions de la recherche scientifique et de son rôle dans la société sont-elles censées répondre ? Existent-ils de bonnes raisons (épistémologiques ou politiques) de résister à cette forme de limitation de l’autonomie de la recherche ? Je dresserai pour cela une cartographie des bénéfices attendus et des risques épistémiques (en particulier en matière d’objectivité scientifique), selon les différentes formes de participation des citoyens à l’enquête scientifique.
10 mai 2023 (à Nancy) | Liesbeth de Mol (STL - Savoirs, Textes, Langage – CNRS / Université de Lille)
Notations de programmation. Il n'y a pas d'échappatoire
Résumé
Les notations de la programmation sont traditionnellement vues comme interfaces entre les programmeurs et la machine. Couramment, on définit les programmes comme des instructions écrites dans un langage de programmation, mais la programmation peut également se faire à l'aide de diagrammes sur papier ou d'icônes visuelles. Mais est-il encore judicieux de parler de programmation quand ce n’est plus une interaction textuelle? Pour répondre à cette question, nous introduisons la notion de programmabilité notationnelle qui est ancrée dans une analyse des développements en mathématiques et en logique des 19ème et 20ème siècles. Là, on retrouve que la signification d’une notation est fondée dans sa capacité de relier deux champs sémantiques distincts. Cette notion de programmabilité s'oppose à celle de la calculabilité. Une notation formelle suffit à prouver des résultats concernant des fonctions calculables. Mais l'utilisation des machines informatiques réelles exige qu'une notation soit le résultat d'une négociation attentive de compromis (“trade-off”) particuliers, constitués par des utilisateurs et des machines spécifiques dans un certain contexte.
Cela s'accompagne de certaines pertes et de certains gains dans les significations opérationnelles qui peuvent être exprimées dans un certain système de notation. L'idée de la programmabilité notationnelle, qui est une question de degré, fonctionne également comme une métrique informelle pour décrire dans quelle mesure il est possible de créer, localement, de telles significations opérationnelles dans l'espace entre notre monde humain et les machines.
Cet exposé est une présentation du chapitre “Notations. There is no escape” du livre Qu’est-ce qu’un programme informatique? (à paraître), écrit par l’auteur collectif PROGRAMme.
Conférence déplacée (24 janvier 2024 au lieu de 7 juin 2023, à Nancy) | Hugo Mercier (Institut Jean Nicod / Ecole normale supérieure – PSL)
Pas né de la dernière pluie : pourquoi les gens sont moins crédules qu'on ne le pense
Résumé
On pense souvent que les humains sont crédules, facilement manipulés par les démagogues, les publicitaires et les politiciens. Je soutiendrai que le contraire est vrai : les êtres humains sont dotés d'un ensemble de mécanismes psychologiques qui leur permettent d'évaluer les informations communiquées et de rejeter celles qui sont fausses ou nuisibles. Je m'appuierai sur des données de psychologie expérimentale, ainsi que sur des études montrant les échecs de la persuasion de masse, de la propagande nazie aux campagnes présidentielles américaines. Je suggérerai également que, lorsque les gens acceptent de fausses croyances, ils ne le font souvent que de manière superficielle.