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Le rôle des constantes physiques fondamentales dans la redéfinition des unités du Système International : Enjeux théoriques, pratiques et philosophiques

Vendredi 25 novembre 2011 - 09:30 - Samedi 26 novembre 2011 - 15:00
Université Paris Diderot (Site "Paris Rive Gauche") - Laboratoire SHERE
Argumentaire: 

Présentation de la journée :
Le rôle et la construction des différents systèmes d’unités de mesure conçus avant l’adoption du Système international d’unités (SI) ont inspiré un grand nombre de travaux en histoire et sociologie des sciences mais ont en revanche fort peu retenu l’attention des philosophes. Si ce désintérêt pouvait passer pour symptomatique à l’époque où la réflexion philosophique se concentrait essentiellement sur l’ analyse des théories, il paraît plus surprenant aujourd’hui, alors que l’on s’efforce justement de dépasser toutes sortes de clivages — entre théorie et expérience, objectivité et conventions, visée universelle et dimensions historique et sociale des concepts scientifiques et épistémologiques — en prônant différents « tournants » (pratique, pragmatique etc.). De fait, la construction d’un système d’unités se présente comme une activité normative qui conditionne la communicabilité et la comparabilité des résultats scientifiques et prend appui sur un ensemble d’interactions tout à la fois épistémiques et matérielles, coordonnées par des institutions.
Les enjeux philosophiques de la construction d’un système d’unités sont rendu particulièrement saillants par la réforme en cours du SI. Cette réforme consiste à redéfinir les unités de base du système à partir de lois physiques et de certaines constantes fondamentales, et fait ainsi de ces dernières et de leur mesure un terrain de rencontre de la physique fondamentale et du monde de la pratique (de l’industrie, des échanges, de la santé etc.).
La mise en œuvre de la réforme soulève de nombreux débats au sein de la communauté des métrologues. Le but de cette journée est, dans un premier temps, de faire connaître cette réforme et les discussions qu’elle suscite au-delà du cercle de ses acteurs immédiats. Puis, d’organiser les journées d’études qui suivront en dégageant, au cours d’une table ronde, les questions autour desquelles métrologues, physiciens, historiens et philosophes pourront venir croiser leurs réflexions sur les différentes dimensions de l’activité scientifique qu’éclaire cette réforme : théorique (nature des grandeurs et des constantes fondamentales, principes d’invariance, objectivité), pratique (modèles et techniques de mesure, instru-mentation, méthodes statistiques, matérialisation et dissémination des unités), historiques (sources d’inspiration des systèmes d’unités naturels, évolution du statut des constantes fondamentales), sociologiques et économiques (dimension collective de la connaissance, rôle des institutions, incidence de la mondialisation des échanges).

Participants: 

Pierre Cladé (CNRS, Laboratoire Kastler-Brossel)
Nadine de Courtenay (Université Paris Diderot, Sphere)
Olivier Darrigol (CNRS, Sphere)
Alexandre Guay (Université de Bourgogne)
Saïda Guellati-Khelifa (CNAM, Laboratoire Kastler-Brossel)
Oliver Schlaudt (Université de Heidelberg, Archives Poincaré)
Erhard Scholz (Université de Wuppertal)
Marc Himbert (CNAM, Laboratoire commun de métrologie)
François Nez (CNRS, Laboratoire Kastler-Brossel)
Christine Blondel (CNRS, CRHST / Centre Alexandre-Koyré)
Alain Picard (Bureau international des poids et mesures)

 

Programme: 

9h30 – 9h45 Présentation de la journée

9h45 – 10h45 Marc Himbert (CNAM, Laboratoire commun de métrologie)
"Faut-il fixer la valeur des constantes physiques fondamentales ?"

10h45 – 11h45 François Nez (CNRS, Laboratoire Kastler-Brossel)
"Nouvelles estimation des valeurs des constantes fondamentales (Codata 2010)"

12h – 13h30 Déjeuner

13h30 – 14h30 Christine Blondel (CNRS, CRHST / Centre Alexandre-Koyré)
"Des unités “absolues” ou des unités “pratiques” ? La construction du système d'unités électrique de Gauss à Giorgi"

14h30 – 15h30 Alain Picard (Bureau international des poids et mesures)
"Vers une nouvelle définition du kilogramme : définition, réalisation et dissémination"

15h30 – 15h45 Pause

15h45 – 18h Table ronde

18h Discussion générale

Résumés: 

Présentation générale : la réforme du SI

Une réforme du système international d’unités (SI) est actuellement en cours afin de mettre les définitions des unités et leur matérialisation (les étalons) en adéquation avec les connaissances théoriques et les savoir-faire technologiques développés au cours du XXe siècle. Cette réforme consiste à redéfinir les unités de base à partir de lois physiques et de certaines constantes fondamentales. La redéfinition récente du mètre fournit l’exemple le plus simple et le plus connu de la démarche suivie dans la refonte du SI : depuis 1983, le mètre « est le trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299 792 458 de secondes ». La définition repose sur la loi donnant la distance parcourue par la lumière pendant un temps donné et fixe implicitement la valeur de la vitesse de la lumière à 299 792 458  m/s. Certaines expériences devraient prochainement aboutir à une redéfinition du kilogramme en fixant soit la constante de Planck, soit la constante d’Avogadro. Cette démarche réduit le nombre des unités indépendantes en intégrant les relations que nos connaissances théoriques ont introduit entre elles. La nouvelle définition du mètre prend appui sur la relativité restreinte et sur l’électromagnétisme. Par ailleurs, si l’option retenue dans la redéfinition du kilogramme consiste à geler la valeur de la constante de Planck, l’unité de masse serait définie à travers la relation  mc2 = hv  et la valeur de l’étalon de masse pourrait être déterminée (en principe seulement !) par une mesure de fréquence (Becker, 2009).

En s’appuyant sur ces grandeurs invariables des théories que sont les constantes fondamentales, le nouveau système d’unités remplira bien mieux que l’ancien les exigences d’invariabilité et d’universalité (c’est-à-dire d’indépendance à l’égard des propriétés d’objets ou de substances particulières, du temps et de l’espace). Il ne réalise toutefois pas le système d’unités « naturelles » idéal souhaité par Stoney, Planck et Eddington dans lequel les constantes fondamentales étaient directement appelées à déterminer les unités. Le nouveau système résulte d’un compromis avec l’idéal des théoriciens visant, d’une part, à assurer la continuité historique de nos mesures et, d’autre part, à répondre aux besoins pratiques du monde macroscopique dans lequel nous vivons et mesurons. Ce compromis est réalisé grâce à la découverte de nouveaux principes et de nouvelles techniques de mesure : interférométrie laser, X et atomique, atomes refroidis par laser, spectroscopie femtoseconde, effet Josephson et effet Hall quantique qui utilisent des phénomènes quantiques macroscopiques permettant de relier monde microscopique et monde macroscopique (Kose & Wöger, 1986).

Les enjeux de cette évolution du SI sont à la fois théoriques et pratiques. Du côté théorique, les constantes fondamentales établissent un lien quantitatif entre les théories existantes (Kose & Wöger, 1986). Le fait de fixer la valeur d’un jeu de constantes fondamentales au travers des nouvelles définitions des unités permet de considérablement réduire l’incertitude sur la mesure d'autres constantes et permet ainsi de tester plus sévèrement nos théories et leurs liens mutuels (l’électrodynamique quantique avec la mesure de la constante de structure fine, la relativité générale avec la fontaine à césium). Du côté pratique, la réforme assure une meilleure stabilité des unités du SI mais conduira sans doute à assouplir les modalités de la mise en pratique des unités, notamment en les rendant révisables au fil des développements scientifiques et technologiques. La réduction des incertitudes qui accompagnera les nouvelles définitions devrait avoir des retombées technologiques palpables dans le quotidien (les plus immédiates seront la distribution du temps, la réponse apportée aux exigences des télécommunications actuelles et l’amélioration des performances des ordinateurs).

La mise en œuvre de la réforme soulève de nombreux débats au sein de la métrologie. Ces débats portent notamment sur les constantes fondamentales qu’il convient de choisir pour édifier le nouveau système, ce choix étant associé au choix de méthodes rivales pour réaliser les unités (la redéfinition du kilogramme pourrait soit conduire à fixer la constante de Planck, et serait alors réalisée par l’expérience de la balance du watt ; soit à fixer le nombre d’Avogadro, la réalisation passant alors par le comptage des atomes d’une sphère de silicium au moyen de techniques interférométriques et de spectrométrie de masse). Ils portent aussi sur les méthodes d’ajustement utilisées pour déterminer la valeur des constantes fondamentales et sur les modalités de la mise en pratique et de la dissémination des étalons.

Analyse provisoire: métrologie et philosophie des sciences

Ces débats et la réforme en général ne trouvent guère d’écho du côté de la philosophie des sciences, bien que certains thèmes de réflexions actuels de cette discipline recoupent les questions soulevées par la construction d’un système d’unités cohérent.

L’un des terrains sur lesquels philosophie, histoire des sciences et réforme du SI se rejoignent est celui de l’étude des principes d’invariance et de symétrie. Le rôle joué par ces principes a tout d’abord été analysé dans le cadre des réflexions historiques et philosophiques portant sur la relativité restreinte. Il s’agit alors de considérations d’invariance « classiques », ou « géométriques » si l’on reprend la terminologie de Wigner, des lois de la physique par changement de repère ou de référentiel. L’on s’est ensuite intéressé aux principes d’invariance « dynamiques » qui se rapportent aux interactions (gravitationnelle, électromagnétique, forte, faible) dont l’étude a été introduite par la relativité générale et les théories de jauge au XXe siècle. L’intérêt philosophique porté aux principes d’invariance et aux symétries tient à ce qu’ils conduisent à envisager les critères de signification d'une théorie d’une manière qui semble plus pertinente que les critères d’observabilité proposés par les empiristes logiques. C’est en effet au travers des propriétés d’invariance et de symétrie des théories que l’on cherche désormais à distinguer les propriétés et relations auxquelles on est prêt à accorder une signification physique des propriétés et relations qui ne sont que des artefacts du mode de représentation mathématique mis en œuvre pour étudier les phénomènes. Les éléments qui possèdent une signification physique sont ceux dont l’expression mathématique est invariante par le groupe de transformations autorisé par le système étudié — ou encore, de façon plus restrictive mais peut-être plus intuitive, celles dont l’expression mathématique est invariante (ou covariante) dans tous les systèmes de coordonnées admissibles du système physique. Cependant, la réflexion sur le statut (méthodologique, épistémologique, voire ontologique) qu’il convient d’accorder aux principes d’invariance et des symétries est rendu épineux du fait de la diversité des types d’invariance et de symétrie rencontrés : globales-locales ; externes-internes ; continues (transformations de Lorentz)-discrètes (conjugaison de charge, parité, renversement du temps).

La réforme du SI touche elle aussi à des questions portant sur l’invariance des lois, sur les transformations, les symétries, les conditions d’objectivité et de signifiance. La raison en est que la construction du SI comme système cohérent d’unités a été effectué de manière à assurer l’invariance des équations de la physique par transformations dimensionnelles des unités. L’exigence d’invariance est également à l’origine de l’introduction de constantes physiques dimensionnées, constantes caractéristiques des systèmes (conductivités, chaleurs spécifiques etc.), ou constantes universelles (ou fondamentales). La discussion de ces questions s’est essentiellement concentrée sur l’analyse dimensionnelle — d’un point de vue formel, dans le cadre de la théorie représentationnelle de la mesure, ou au contraire en s’intéressant aux modèles réduits, dans le cadre des sciences de l’ingénieur. Ceci montre que la construction d’un système d’unités a dès le départ (avec Maxwell, Gauss, Weber) utilisé des principes d’invariances comme guide. Wigner a crédité Einstein d’avoir le premier renversé, avec la relativité restreinte, la priorité entre principe d’invariance et établissement de lois dynamiques. Or, la construction d’un système d’unités cohérent accorde déjà, bien avant Einstein, un statut particulier aux symétries et aux transformations actives et passives. Par ailleurs, l’on peut dire que la réforme en cours du SI témoigne d’une inversion caractérisée de l’approche inductive antérieure : l’on part de constantes (tirées de considérations d’invariance) pour définir les unités qui permettront d’exprimer les résultats d’expérience.

Enjeux philosophiques: problématique de la journée

La spécificité – mais aussi l'enjeu – de la réforme du SI tient à ce qu'elle rapproche deux cercles de discussions différents, l’un théorique, l’autre pratique, entre lesquels elle nous conduit à établir un pont. En effet, dans la construction d'un système d'unités, l’on n'étudie pas seulement les invariances d'un point de vue « intra-théorique », mais l’on touche justement au point où s'enchaînent théorie et pratique. Le terme « pratique », au sens large, se réfère ici à la fois à la pratique « technique » de la mesure, et à la pratique « symbolique » de l'algèbre. Ce sont donc trois aspects qui se croisent dans la réforme du SI et demandent à être abordés : l'aspect sémantique ou théorique, concernant le rôle de l'invariance et la signification des constantes fondamentales ; l'aspect syntaxique ou algébrique, concernant l'écriture des équations et le rôle algébrique des constantes fondamentales ; et enfin l'aspect pragmatique ou conventionnel, concernant la construction des systèmes d'unités et surtout la détermination des unités par certaines constantes fondamentales. Le défi consiste à comprendre ces aspects et leurs relations mutuelles.

Les questions touchant aux principes d’invariance et aux symétries sont, bien sûr, loin de couvrir tout le champ des questions sur lesquelles la réforme du SI invite les métrologues, historiens et philosophes des sciences à travailler ensemble. Nous voulons faire de cette journée une journée prospective et souhaitons que les conférences d’ouverture apportent matière à un débat général dont le but sera de dégager les questions qui méritent d’être étudiées et d’orienter le programme d’une série de journées futures. Ce débat se déroulera dans le cadre d’une « table ronde » à laquelle d’autres chercheurs seront invités à se joindre aux conférenciers.

Manifestation organisée par :

  • Collaborations : Université Paris Diderot (Site "Paris Rive Gauche")
  • Collaborations: Laboratoire Sphere (équipe Rehseis) - UMR 7219 CNRS
  • Collaborations : Universitaire de Lorraine - LHSP - Archives Henri Poincaré - UMR 7117 CNRS

 

 

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