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Histoire et mémoire de l'informatique universitaire à Nancy (1950-2010)

Lundi 14 janvier 2019 - 10:00 - 17:30
Université de Lorraine (Nancy), Campus Lettres et Sciences Humaines, Place Godefroy de Bouillon, Salle G04
Argumentaire: 

 

Après Grenoble et Toulouse la Faculté des sciences de Nancy a été l'une des premières en France à développer des programmes de recherche et d’enseignement en « informatique ». À cette époque le terme n’existe pas encore dans la langue française et cette nouvelle discipline trouve d’abord ses origines dans l’analyse numérique et les mathématiques appliquées.

Après une année exploratoire, tout commence par la mise en place par Jean Legras, en 1958-59, d'un cours de troisième cycle d’Analyse et de calcul numérique et par l’utilisation de calculateurs électroniques (IBM 604 puis 650). En 1961, Jean Legras dirige la première thèse en « informatique » soutenue en France par Marion Créhange, Structure du code de programmation. Suivront ensuite les travaux décisifs de Claude Pair sur le langage Algol et les théories de la programmation.

Souvent mal considérée à ses débuts par les mathématiciens partisans des approches formelles des mathématiques – Nancy est à cette époque un des sièges du mouvement Bourbaki – cette nouvelle discipline s’installera cependant durablement dans le paysage universitaire local et national à travers différentes constructions institutionnelles qui parfois coexisteront au gré de regroupements et de changements de tutelle ou de direction : création d’un premier Centre de calcul en 1959, fondation d’une équipe puis d’un Centre de Recherche en Informatique de Nancy (CRIN) en 1973-1976, installation de l’Institut de Recherche en Informatique et Automatique (INRIA Lorraine) et de l’Institut de l’information scientifique et technique (INIST) dans les années 1980, fondation du Centre de Recherche en Automatique de Nancy (CRAN) dans les mêmes années et du Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (LORIA).

L’histoire de l’informatique universitaire à Nancy dépasse largement le cadre strict de l’histoire de l’informatique ou même du « numérique ». Elle est une invitation à penser les processus de développement et d’installation d’une nouvelle discipline sur le temps long, dans un contexte de concurrence scientifique et institutionnelle avec d’autres pôles universitaires. Elle appelle à penser le rôle de différents acteurs – professeurs, ingénieurs, techniciens, étudiants – dans ce processus historique. Elle pose la question des processus institutionnels, politiques et socio-économiques qui ont abouti à l’installation en Lorraine, territoire fortement marqué par la désindustrialisation, de structures de recherche et d’enseignement dédiées à cette discipline. Il s’agira donc de reconstituer l’écosystème informatique universitaire nancéien : non seulement ses lieux et ses modalités de formation et de recherche, mais également ses relations avec les organismes de recherche nationaux (CNRS et INRIA), les collectivités locales, les différents plans nationaux qui ont rythmé le développement de l’informatique en France et le monde économique et industriel.

Cette journée d’étude donnera la parole à ses principaux acteurs, souvent eux-mêmes à l’origine de travaux historiques sur le sujet. Elle accueillera ainsi : Marion Créhange, Jean-Claude Derniame, Jean-Pierre Finance, Marie-Christine Haton, Jean-Paul Haton, Bernard Legras, Pierre Lescanne, Claude Pair et Jean-Marie Pierrel. Elle sera ouverte par Pierre Éric Mounier-Kuhn, historien de l’informatique, auteur notamment de L'informatique en France, de la Seconde Guerre Mondiale au Plan Calcul – L’émergence d’une science (2010).

Cette journée est ouverte au public, sur inscription, dans la limite des places disponibles. Pour plus de détails écrire à Laurent Rollet.

 

Programme: 

 

10h00 : Ouverture de la journée

10h15 : Pierre-Éric Mounier-Kuhn – « Histoire de l’informatique : historiographie et approches »

10h35 : Bernard Legras – « Mon père Jean Legras (1914-2012), mathématicien lorrain, promoteur de l’informatique en Lorraine »

10h55 : Marion Créhange – « De 1957 à 1968 et même 1975 : une création clairvoyante et courageuse. Du défrichage au décollage »

11h15 : Discussion

11h30 : Claude Pair – « À tout CRIN : de la naissance à la maturité (1963-1976) »

11h50 : Jean-Claude Derniame – « Du CRIN au LORIA (1981-1985) »

12h10 : Discussion

12h30 : Pause déjeuner

14h00 : Jean-Pierre Finance – « De l’adolescence à l’âge adulte : dix ans du développement de la recherche en informatique à Nancy (1985-1994) »

14h20 : Marie-Christine Haton – « 60 ans d’Informatique universitaire à Nancy, une vue chronologique graphique »

14h40 : Jean-Paul Haton – « L’intelligence artificielle à Nancy : une longue histoire »

15h00 : Discussion

15h15 : Pause

15h30 : Pierre Lescanne – « Logique et informatique à Nancy »

15h50 : Jean-Marie Pierrel – « Informatique et traitement numérique de la langue à Nancy : plus d’un demi-siècle d’histoire commune »

16h10 : Discussion

16h30 : Table ronde « Quelle histoire pour l’informatique universitaire nancéienne ? »

 

Résumés: 

 

Histoire de l’informatique : historiographie et approches

Pierre Éric Mounier-Kuhn, CNRS & Sorbonne Université

L’informatique est devenue objet d’histoire dès les années 1970 : époque où la première génération de pionniers – notamment américains et britanniques – parvenait à l’âge où l’on veut transmettre son expérience, tandis que l’informatique transformait visiblement l’économie et la science. Aux acteurs, soucieux que l’aventure à laquelle ils avaient participé ne soit pas oubliée ou déformée, se sont ajoutés bientôt des historiens et d’autres spécialistes des sciences sociales. L’histoire de l’informatique est devenue un domaine majeur dans l’histoire des sciences, des techniques et de l’industrie, ainsi que dans les musées qui exposent son patrimoine. Comment s’y articulent l’histoire et la mémoire ? Quels processus d’innovation, quels modèles de développement peut-on y observer ? Quel rôle jouèrent les pôles universitaires pionniers ?

 

Mon père Jean Legras (1914-2012), mathématicien lorrain, promoteur de l’informatique en Lorraine

Bernard Legras, Université de Lorraine

Naissance de Jean Legras en 1914 à Soissons. Scolarité au lycée Poincaré de Nancy. Primé au concours général (2e prix en mathématiques, 4e accessit en physique). Élève à l’École normale supérieure de 1933 à 1936. Reçu 4ème à l’agrégation de mathématiques (1936). Thèse Contribution à l’étude de l’aile portante sous la direction de Joseph Pérès, soutenue en 1946. Professeur de Mathématiques Supérieures au lycée Henri Poincaré de Nancy 1942-1944. Détaché au CNRS 1944-1947. Chargé de cours de mathématiques à la Faculté des Sciences de Besançon 1947-1950. Maître de conférences à la Faculté des Sciences de Besançon 1950-1952. Maître de conférences à la Faculté des Sciences de Nancy 1952-1955. Professeur de mécanique rationnelle à la Faculté des Sciences de Nancy 1955-1982. Départ à la retraite en 1982. Décès à Vandoeuvre en 2012. Marié et père de deux enfants, sportif, bridgeur, bricoleur, photographe amateur, et même amateur de tricot, il a été toute sa vie empreint d’une grande curiosité intellectuelle envers les activités les plus variées. La vie de mon père fut marquée par la guerre : il perdit ses travaux lorsqu’il fut fait prisonnier en juin 1940, puis passa plus de deux années en captivité en Allemagne, ce qui se termina par un rapatriement suite à une schizophrénie simulée. Il rédigea six livres pour l’enseignement universitaire publiés entre 1954 et 1980, sur des techniques de résolution d’équations différentielles, l’analyse numérique, et des algorithmes d’optimisation non linéaire. Il a encadré une soixantaine de thèses. Il fonda (1959) puis dirigea le Centre de Calcul ainsi que l’Institut Universitaire de Calcul Automatique (ancêtre de l’actuel LORIA) jusqu’en 1972. Il développa en Lorraine l’informatique et ses applications. Jean Legras s’affirma comme un chercheur intéressé d’abord par les mathématiques appliquées vues comme un outil au service de l’ingénieur et du physicien, d’où un intérêt de précurseur pour l’automatisation du calcul, puis pour l’informatique, au développement de laquelle il joua un rôle de tout premier plan en Lorraine, que ce soit pour l’enseignement, la formation, ou pour la recherche.

 

De 1957 à 1968 et même 1975 : une création clairvoyante et courageuse. Du défrichage au décollage

Marion Créhange, Université de Lorraine

J’ai eu la grande chance de vivre les débuts de l’informatique avec deux "patrons", Jean Legras puis Claude Pair. A travers mon parcours, j’évoque les tout débuts de l’informatique nancéienne.

Jean Legras m’invite en 1957 à travailler avec lui sur une machine électronique à programme câblé, l’IBM 604, puis en 1958 crée, dans le 3cycle de Mathématiques, l’option de 3cycle Analyse et Calcul Numériques, où nous sommes quatre étudiants ; arrivée de l’IBM 650. Dans ma thèse de 3cycle, je conçois et implante le code de programmation, langage intermédiaire permettant interprétation et compilation ; rapidement il rend service à des chercheurs, en particulier chimistes, et permet de développer plusieurs actions interdisciplinaires, grâce aux nombreuses ouvertures menées par Jean Legras. L’enseignement se diversifie comme sujets, publics et établissements. Les applications, toutes dans le domaine scientifique, donnent lieu à plusieurs thèses de spécialités à dominante analyse numérique sous la direction de Jean Legras. Celui-ci avait dès 1956 expliqué : « l’ingénieur, le physicien se trouvent souvent devant des problèmes que les mathématiciens classiques n’ont pas pu résoudre. Il leur faut alors, ou renoncer à l’emploi de l’outil mathématique, ou utiliser des méthodes moins strictes, que réprouvent les mathématiciens, mais qui sont seules capables de les dépanner… ».

Matériels et logiciels se diversifient, eux aussi, à grande vitesse et le calcul numérique touche aussi les littéraires, en particulier grâce au fait qu’après avoir uniquement traité des informations numériques on sait maintenant traiter des chaînes de caractères. Jean Legras établit des contacts avec le recteur Paul Imbs, créateur du Trésor de la Langue Française. Puis, en collaboration avec Jean Legras, le doyen Jean Schneider joue un rôle clé dans la création du CRAL (Centre de Recherche et Applications Linguistiques) en 1966 ; d’où des réflexions conjointes avec des linguistes et historiens. L’historienne Lucie Fossier a sollicité ma coopération pour traiter des documents diplomatiques du Moyen Âge : nous avons conçu un système dont j’ai confié la réalisation en 1968, sous forme de TP coordonnés, à sept équipes d’étudiants de la 2èmepromotion du département informatique de l’IUT. Ce département avait été créé en 1967 puis dirigé, avec efficacité, imagination et ténacité par Gilles Tissier. En marge du CRAL, Claude Pair a eu dès cette époque des contacts avec l’équipe de traduction automatique de Guy Bourquin et plus tard avec des psychologues nancéiens et parisiens. La coopération avec le CRAL a eu d’ailleurs un effet à retardement : une linguiste, Noëlle Carbonell, intéressée par les travaux de ce laboratoire, se tournera vers l’informatique, deviendra professeur et jouera dans le laboratoire CRIN un rôle décisif.

Souvent, en informatique encore plus peut-être que dans d’autres sciences, les recherches sont poussées par les expériences et applications, à partir desquelles vient une phase de synthèse et d’abstraction, de réflexion scientifique, qui amène à des résultats théoriques, que l’on met ensuite à l’épreuve de nouvelles applications. C’est ce qui m’est arrivé. A partir de plusieurs applications pluridisciplinaires menées en partie sous l’étiquette du CRAL, mon intérêt a de plus en plus porté sur la représentation et la recherche d’informations complexes et j’ai été amenée à une réflexion plus théorique, grâce à l’élan impulsé par Claude Pair sur la formalisation des structures de données et la compilation. Cet effort de réflexion théorique nourrie par les applications a abouti à ma thèse d’état en 1975 et a été suivi par d’autres applications elles aussi pluridisciplinaires, en particulier en Médecine.

Mon récit s’arrête là mais j’ai évidemment continué à vivre - sans toujours m’en rendre compte - l’extraordinaire mutation de la recherche en informatique à Nancy. En 1985, j’ai créé l’équipe EXPRIM, sur la représentation et gestion d’informations complexes et la recherche d’information "images" avec apprentissage. Toutes mes coopérations, qui m’ont passionnée, ont été formatrices même si la plupart n’ont pas abouti, ce qui a été le cas de nombreuses applications menées à cette époque par les chercheurs en Informatique. Ceci pour différentes raisons mais essentiellement le manque d’aide à la programmation et à la préparation des données et souvent aussi les difficultés d’accès à des ordinateurs.

 

A tout CRIN : de la naissance à la maturité (1963-1976)

Claude Pair, Université de Lorraine

Le mot « informatique » a été forgé en 1962, à un moment clé : le début du passage d’un outil – l’ordinateur – à une science qui sera un peu plus tard désignée en français par ce même mot. Pour moi, 1962 est l’année où je prends contact avec Jean Legras qui m’ouvre son Centre de Calcul et le cours de programmation qu’il y a confié à deux assistantes : Marion Créhange est l’une d’elles ; elle enseigne son « code de programmation » qui perfectionne le « langage-machine » de l’ordinateur IBM 650.

Par rapport à un outil – un ordinateur programmé dans un dialecte qui lui est propre – une science fait preuve de généralité : à cette époque, il s’agit d’introduire des langages de programmation « évolués », indépendants de la machine. 1962 est ainsi l’année où apparaît FORTRAN IV, un langage destiné à tous les ordinateurs… pourvu qu’ils soient des IBM ! Mais depuis plusieurs années, un groupe international travaille sur ALGOL, indépendant de tout constructeur et plus novateur que FORTRAN.

ALGOL sera fondamental dans la constitution d’une science informatique, par les notions qu’il introduit et par les problèmes que pose sa « compilation », c’est-à-dire sa traduction dans le langage-machine des divers types d’ordinateur. En 1963, est publiée sa définition finale. A Nancy, nous décidons d’une part de l’adopter comme support d’enseignement de la programmation, et d’autre part d’en construire un « compilateur » pour un ordinateur 1620 prêté par IBM, mais accessible seulement certaines nuits et à Metz. Ce n’est guère commode et en outre, comme ce n’est pas IBM qui est choisi en 1965 pour remplacer le 650, le prêt s’arrête en 1966, sans que le compilateur soit réellement utilisable.

Mais l’expérience ne sera pas perdue : des notions ont été dégagées, des étudiants ont été formés, une équipe de recherche en informatique a été créée, individualisée à l’intérieur du Centre de Calcul. Dans les années suivantes, sa taille augmente rapidement – 70 personnes en 1977 – en liaison avec le développement de l’enseignement de l’informatique. Notre recherche dépasse la seule compilation, tout en réutilisant un certain nombre de notions qui y sont liées : exploration des graphes, langages d’arbres, structures de données, récursivité, sémantique des langages de programmation…

La pauvreté du matériel nous conduit à une recherche plutôt théorique : faire de l’informatique une science, c’est comprendre, formaliser, généraliser, grâce à l’origine mathématique de la plupart des chercheurs, mais sans faire des maths pour les maths et aussi sans renoncer aux ouvertures sur d’autres disciplines. Nous nous faisons ainsi une place spécifique dans la recherche française, concrétisée par des liens étroits avec l’IRIA et une reconnaissance par le CNRS en 1973 comme équipe associée, et en 1976 comme laboratoire associé. En outre, nous acquérons petit à petit une reconnaissance internationale. Tout cela bien que, pendant longtemps, les chercheurs soient tous des enseignants et que nous ne disposions d’aucun technicien.

Après 1968, la réorganisation universitaire créant à Nancy trois établissements d’enseignement supérieur, avec de l’informatique dans chacun d’eux, aurait pu mener à une dispersion des informaticiens : leur volonté et l’existence d’un séminaire commun permettra de l’éviter. Au contraire, la transformation en 1971 du Centre de Calcul en service commun de ressources, excluant l’enseignement et la recherche, conduit à l’indépendance du laboratoire, confortée par son association au CNRS. C’est alors qu’il prend le nom de CRIN (vers 1975 ?). Il n’a toujours pas de locaux, mais les thèmes de recherche se sont diversifiés, plusieurs de ses chercheurs sont prêts à diriger les plus jeunes : il est temps de revoir l’organisation. En 1976, on distingue cinq axes : informatique théorique et théorie des langages ; outils et méthodes de développement de logiciels ; reconnaissance des formes et intelligence artificielle ; informatique d’organisation et bases de données ; informatique pour l’éducation et la formation, en lien avec une formation de professeurs de lycées.

 

Du CRIN au LORIA (1981-1985)

Jean Claude Derniame, Université de Lorraine

En septembre 1981, à la suite de son ouvrage d’analyse et de propositions de réformes dans l’enseignement secondaire, Claude Pair est nommé directeur des lycées au ministère de l'Éducation nationale. Je suis rapidement élu directeur du CRIN. Héritage remarquable : un laboratoire en parfait état de marche, équipes structurées avec des responsables arrivés à maturité, bonne visibilité nationale. Mais héritage difficile aussi : Claude avait été le directeur scientifique du labo et les responsables d’équipes étaient de la même génération, Nous étions presque tous des thésards de Claude. Je ne pouvais qu’accompagner les travaux. La situation est difficile en ce qui concerne les effectifs. Le développement continu du laboratoire a engendré un déséquilibre important, trop peu de chercheurs à temps plein, peu de personnel technique. La plupart des chercheurs sont aussi enseignants. Pour une discipline en pleine expansion cela leur demande beaucoup de temps, et moins pour la recherche. Depuis le passage en équipe associée au CNRS en 1973 puis de laboratoire associé en 1976, le CRIN était un laboratoire sans murs, dispersé dans les trois universités de Nancy. En 1982, le CRIN emménageait dans les locaux de la faculté́ des sciences. En 1983, comme quatre autres universités françaises, nous recevions un nouvel équipement, un Vax 750, grâce aux efforts de Jean Paul Haton et de Pierre Lescanne. Depuis 1980, la sidérurgie lorraine est en crise, et début 1984, la Lorraine entre en ébullition. C’est l’occasion de faire un dossier plaidant pour la venue de l’INRIA à Nancy, dossier qui nous occupera jusqu’en 1985 avec ses différentes créations. Le développement a continué, avec un renforcement de certains équipes, intelligence artificielle, enseignement assisté par ordinateur et apparition d’une nouvelle équipe (Eureca, EtUde de la REéCriture et de ses Applications). En octobre 85, je suis réélu, mais à la suite de démarches de quelques mécontents, l’élection doit être recommencée. Un peu fatigué et sachant que mon équipe souhaitait me voir plus souvent, je ne me suis pas représenté.

 

De l’adolescence à l’âge adulte : dix ans du développement de la recherche en informatique à Nancy (1985-1994)

Jean-Pierre Finance, Université de Lorraine

Il n’est pas surprenant qu’une institution de recherche évolue et se transforme sous l’impulsion des découvertes scientifique, cherchant en permanence à investir et approfondir de nouveau champs du savoir et en abandonnant d’autres. Mais le cas de la recherche en informatique, qui a connu pendant des décennies des progrès quasiment exponentiels, est un cas extrême de l’échelle de temps de ces transformations et la recherche en informatique nancéienne en donne un exemple particulièrement représentatif. L’exposé s’attachera à montrer comment en une dizaine d’années (1985-1994) le CRIN s’est transformé, doublant quasiment ses effectifs (120 à 220), renforçant ses thèmes de recherche historiques et en ouvrant d’autres, soutenant l’éclosion de nouvelles filières de formation. Il a pu, pendant toute cette période de maturation, bénéficier de soutiens solides, tant au niveau des instances académiques (universités, CNRS, INRIA) qu’à celui des collectivités territoriales (communauté urbaine, département, région) ou encore aux échelles nationale et européenne. Mais c’est surtout l’irrésistible développement de l’informatique (on dit aujourd’hui numérique voire intelligence artificielle) aussi bien dans le monde socio-économique que dans le monde scientifique qui ont servi de tremplin à cette étonnante ascension.

 

60 ans d’Informatique universitaire à Nancy, une vue chronologique graphique

Marie-Christine Haton, Université de Lorraine

Pour la revue Le Pays Lorrain d’abord, puis la revue Technique et Science Informatiques, Marion Créhange et moi-même, toutes deux professeurs d’Informatique émérites de l’Université de Lorraine, avons exploré les 50 premières années de la recherche et des formations universitaires en Informatique à Nancy. Ce travail s’est concrétisé par la parution d’articles à valeur historique dans ces deux revues, respectivement en 2007 et en 2014. Je me propose de balayer cette période étendue à 6 décennies (1957-2017) de façon à montrer l’évolution de la discipline (recherche et formation), tant en largeur (extension des grands champs d’étude) qu’en profondeur (diversification des thèmes étudiés). L’évolution des matériels et des plates-formes de recherche sera également évoquée.

 

L’intelligence artificielle à Nancy : une longue histoire

Jean-Paul Haton, Institut universitaire de France, Université de Lorraine, LORIA

L’intelligence artificielle est apparue à Nancy dès la fin des années 1960, au Laboratoire d’Électricité et d’Automatique dirigé par le Prof. Alfred Frühling. Une équipe, animée par Michel Lamotte (CR CNRS), composée de Jacques Brémont et Jean-Paul Haton et installée à l’École nationale supérieure d’électricité et de mécanique, travaillait déjà sur une thématique toujours aussi centrale de l’IA, l’apprentissage, notamment avec les modèles de matrice d’apprentissage et de perceptron monocouche, ancêtre des réseaux neuronaux profonds. A la création du CRIN au milieu des années 1970, J-P. Haton fonde l’équipe RFIA (Reconnaissance des Formes et Intelligence Artificielle) qui s’intéresse à des questions de traitement du signal, reconnaissance de la parole (avec Jean-Marie Pierrel, premier docteur du domaine à Nancy !), rééducation vocale des enfants malentendants, systèmes experts. Il s’associe à Roger Mohr pour développer des algorithmes de reconnaissance syntaxique appliquée à la parole, à l’écriture et aux dessins. D’autres thèmes majeurs apparaissent progressivement : modèles neuronaux biologiques, modèles stochastiques, robotique (le premier robot mobile lorrain arrive dans l’équipe en 1985), fouille de données. Dès 1982, Nancy abrite deux structures nationales de recherche, le GRECO CNRS Communication Parlée puis le GDR-PRC Communication Homme-Machine avec trois pôles (Parole, Image et Langue Naturelle), tous deux dirigées par J-P Haton. L’IA est le thème de recherche d’un nombre important de membres (sans doute plus de 100) du LORIA et de l’INRIA-Lorraine.

 

Logique et informatique à Nancy

Pierre Lescanne, École normale supérieure de Lyon

Logique et informatique ont fait des progrès considérables à la fin du 20esiècle et au début du 21egrâce à leurs fortes interactions. Les logiciens, hélas morts trop jeunes, que sont Jacques Herbrand et Alan Turing ont été des pionniers de la logique mathématique et les concepts qu'ils ont inventés son largement utilisés en informatique. Tous deux ont des liens avec Nancy certes ténus, mais je m'amuserai à les relever. En revanche, les liens de Norbert Wiener et Rózsa Péter sont plus avérés et méritent d'être présentés. Enfin j'évoquerai la coinduction et les « evolving algebra » dont les articles historiques placent la naissance en 1993 pour la première et en 1988 pour la seconde. Elles ont en fait été créées à Nancy, par Claude Pair et son équipe en 1969 pour la première et entre 1973 et 1980 pour la seconde et je retracerai leur genèse.

 

Informatique et traitement numérique de la langue à Nancy : plus d’un demi-siècle d’histoire commune

Jean-Marie Pierrel, Université de Lorraine, ATILF

En 1960, en parallèle aux premières expérimentations de recherche en informatique, à Nancy Paul Imbs fonde le CRTLF, prémices de l’INaLF, puis de l'ATILF, chargé de rassembler la documentation nécessaire à la rédaction et à la publication du TLF. En 1961 un Gamma 60, le plus gros ordinateur existant à cette époque, est acheté et installé à Nancy pour ce projet. Début des années 1970, au moment où le Gamma 60 est en bout de souffle, les liens entre le CRTLF et la communauté universitaire en informatique se resserrent : grâce aux coopérations entre Paul Imbs et Jean Legras, le CRTLF s’associe aux universités au sein de l’IUCA pour l'acquisition d’un CII 10070 puis en 1974 d’un Iris 80. Cela a permis de développer des compétences autour du traitement de corpus et de la recherche d'information qui s’accentueront encore dans les années 1980 après l’achat d’un Multicspar le CIRIL et permettront à l’INaLF puis l’ATILF de mettre en place et d’ouvrir Frantext et le TLFi.

À partir des années 70 se développe au sein du CRIN puis du LORIA des recherches sur la reconnaissance automatique de la parole et le traitement automatique des langues qui nouent des relations étroites avec la communauté linguistique nancéienne, mais aussi plus largement nationale au sein du GRECO communication parlée puis du GDR-PRC Communication Homme-Machine et du GIS Science de la Cognition. À Nancy ces relations vont se structurer fin des années 1990 et début des années 2000 dans le cadre de plusieurs projets CPER sur la langue, le texte et leur traitement et réunissant au départ l'ATILF, l'INIST et le LORIA, puis, dans le cadre de la MSHL, divers autres laboratoires en sciences humaines et sociales.

Ces coopérations entre la recherche en informatique, la linguistique et l’information scientifique et technique seront à l’origine au cours des dernières années de l’Equipex ORTOLANG et, dans le cadre de LUE, du développement du domaine ingénierie des langues et des connaissances.

 

 

Manifestation organisée par les Archives Henri Poincaré avec le soutien de l'Académie Lorraine des Sciences et la Métropole du Grand Nancy