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Programme des Grandes conférences 2018-2019

 

Le cycle des Grandes Conférences des Archives Henri Poincaré est conçu comme un espace de rencontre entre chercheurs et grand public.

Il couvre de nombreux champs disciplinaires : philosophie, épistémologie, éthique, histoire des sciences et des techniques, histoire des institutions, sociologie des sciences et des organisations, etc.

Les conférences ont lieu alternativement sur les sites nancéiens et strasbourgeois des Archives Henri Poincaré.

  • Nancy : Université de Lorraine, Campus Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Lorraine, place Godefroy de Bouillon, bâtiment G, salle G04, rez-de-chaussée.
  • Strasbourg : Université de Strasbourg, Maison des Sciences de l'Homme - Alsace, 5 allée du Général Rouvillois, salle de visioconférence.

Les conférences ont lieu de 18 heures à 20 heures à Nancy et de 17 heures à 19h30 à Strasbourg.

Entrée libre, dans la limite des places disponibles.

 

– Programme des séances –

 

26 septembre 2018 (Nancy)

Paul Clavier (Université de Lorraine / Archives Henri Poincaré)

Georges Lemaître ou la neutralité métaphysique du Big Bang

Résumé : En 1927, Lemaître publie son premier essai de cosmogonie expansionniste : « Un Univers homogène de masse constante et de rayon croissant, rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extra-galactiques », qui est signalé à Einstein. Lors du Congrès Solvay de la même année, Einstein complimente Lemaître sur la partie mathématique de son travail, mais estime que « sa physique est abominable : cela suggère trop la création ». Einstein reviendra vite sur ces allégations. Le propos de la conférence est d’exposer comment Lemaître échappe à l’amalgame cosmogonie/création et défend la neutralité métaphysique du Big Bang.

 

10 octobre 2018 (Strasbourg)

Anne-Lise Renon (Faculté des Arts de l’Université de Strasbourg, LIAS, Institut Marcel Mauss)

Design et histoire des sciences

Résumé : La science contemporaine, caractérisée par sa présence très « visuelle » dans la société, place selon nous le design et les technologies liées à l'imagerie au cœur des relations esthétiques inhérentes à tout processus de recherche. Dans cette intervention, nous proposons de présenter un panorama de travaux pouvant nous permettre de réfléchir comment l’expérience sensible, les pratiques d’inscriptions, de même que la conception et la manipulation instrumentale — ce que nous pourrions rassembler sous la notion de design— contribuent à façonner les champs de recherche, la hiérarchie des valeurs factuelles, et font émerger des styles de pensée.

 

24 octobre 2018 (Nancy)

Robert Fox (Université d'Oxford)

Au temps des expositions internationales. L'universalisme en action, 1851-1940

Résumé : Les premières expositions réellement internationales, Londres 1851 et Paris 1855, ont lancé un mouvement repris avec un succès grandissant par les autres nations de par le monde. De tels événements proclamaient et affichaient leur engagement pour un idéal de progrès et de bien-être matériel. Ces lieux dédiés où s’exposait une rivalité consensuelle appropriée à l’âge industriel portaient publiquement la volonté de promouvoir la paix et la compréhension entre les peuples. Mais les intérêts nationaux ont de façon permanente accompagné cette rhétorique universaliste dominante et créé des tensions qui, dès le début, ont conduit plusieurs contemporains à voir dans une exposition universelle un dinosaure condamné à une extinction imminente. Cependant un processus de constante adaptation a permis à de telles expositions de survivre. Ce succès répété est remarquable durant une période que je qualifierai d’âge d’or qui s’achève à la veille de la Seconde guerre mondiale. Avec la future Dubai2020, dans un site magnifique, serait-il possible que de telles expositions universelles dans un état d’esprit affiché d’universalisme, fussent aussi pertinentes de nos jours qu’elles l'étaient autrefois ?

 

28 novembre 2018 (Nancy)

Jean-Christophe Weber (Université de Strasbourg / Archives Henri Poincaré)

La clinique comme laboratoire : quelle épistémologie pour la médecine ?

Résumé : Si la question du statut épistémologique de la médecine est toujours débattue aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement d’un motif de dispute académique interne et externe à la médecine. Les considérations anciennes (Platon, Aristote) ou plus récentes (Bernard, Canguilhem, Jean Gayon, etc.) ont des prolongements dans des tendances fortes qui visent à transformer l’exercice lui-même (Evidence-based-medicine, médecine personnalisée, médecine individualisée ou centrée sur le patient, patient-expert, etc.). Selon le point de départ doctrinal, différentes pratiques s’en déduisent, qui se séparent l’une de l’autre sur la question de l’expérience. La conférence se situera au point de jonction entre doctrines épistémologiques et pratique, mais proposera de prendre pour point de départ la pratique afin d’en dégager les caractéristiques épistémologiques. Le parti pris sera de considérer la clinique comme le laboratoire de la médecine.

 

12 décembre 2018 (Nancy)

Loïc Petitgirard (Conservatoire national des arts et métiers / Laboratoire HT2S)

Des mathématiques dans l'instrumentation, une perspective historique

Résumé : Les mathématiques et l’instrumentation scientifique entretiennent des rapports de long terme, qui ont été profondément modifiés avec l’ordinateur, depuis le milieu du 20e siècle. Mais cet instrument particulier ne doit pas occulter ceux qui ont servi à représenter graphiquement et élaborer des solutions, ou encore les instruments utiles dans une perspective heuristique ou pour poser des conjectures. L’exposé est une invitation à explorer cet « à côté » de l’ordinateur, depuis 1950, en suivant la transition entre technologies analogiques et numériques dans l’instrumentation. On partira de l’exemple de l’optique et de la spectroscopie qui ont intégré les mathématiques de Fourier, pour imaginer de nouveaux instruments, d’abord analogiques puis numériques. On pourra revenir sur les questions d’analyse (mathématique et physique) des systèmes dynamiques non linéaires, pour laquelle calculs et images dépendent des possibilités offertes par les instruments. Cela permettra de cerner, dans différents lieux et contextes, les rapports bilatéraux entre des mathématiques développées pour l’instrumentation, et des instruments propres à résoudre des problèmes mais aussi à générer des outils et des savoirs mathématiques.

 

16 janvier 2019 (Nancy, salle A104)

Marco Buzzoni (Università di Macerata)

Les expériences de pensée dans le sciences empiriques et en mathématiques : entre formalisation et connaissance informelle

Résumé : Contrairement à l'opinion qui prévaut aujourd'hui dans la littérature pertinente, je montrerai que, en un sens qui est particulièrement important pour l'épistémologie, dans les mathématiques pures les expériences de pensée ne peuvent être considérées comme une méthode particulière, à l'encontre de ce qui se passe dans les sciences naturelles et dans les mathématiques appliquées. En ce sens, il serait trompeur de parler d’expériences de pensée en mathématiques, qui ne peuvent pas, en principe, entrer en conflit direct avec l'expérience, qui est fonction des interactions entre notre corps et la réalité qui nous entoure. Bien que la visualisation joue un rôle important dans de nombreuses expériences de pensée en mathématiques pures, celles-ci doivent être considérées, au moins en ce qui concerne un aspect épistémologique fondamental, plus semblables aux preuves formelles qu'aux expériences de pensée en sciences expérimentales. Mais, dans un autre sens, on peut reconnaître l'existence d’une expérimentation de pensée en mathématiques. En effet, la notion de système formel n'exprime pas un état, mais une limite idéale, qui se traduit, mais ne s'épuise pas, dans les systèmes relativement bien isolables et autonomes auxquels l’activité formalisante de la pensée donne lieu. Les expériences de pensée ont un rôle à jouer non seulement dans les cas où de nouvelles branches ou même de nouvelles disciplines mathématiques apparaissent dans la culture humaine, mais encore dans l’effort de constituer la complète cohérence du réseau de connexions entre les diverses théories formelles dont les mathématiques sont constituées à un certain stade de leur développement historique. Ces cas nécessitent une réouverture temporaire des mathématiques aux interactions entre notre corps et l'environnement qui nous entoure, réouverture dans laquelle l'expérimentation mentale peut jouer un rôle qui n'est pas fondamentalement différent de celui qu'elle a dans les sciences expérimentales.

 

23 janvier 2019 (Strasbourg)

Morgan Jouvenet (Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines / CNRS / Laboratoire Printemps)

La mobilisation scientifique des archives climatiques polaires. L'ice core science en action (1957-2017)

Résumé : Les carottes de glaces ("ice cores") extraites en Antarctique ou au Groenland constituent de précieux objets pour les climatologues. Leur analyse produit en effet des données qui nourrissent la compréhension des cycles et événements climatiques du passé. A travers ses publications et les engagements publics de ses grandes figures, la communauté animant cette "ice core science" (ICS) fournit, depuis plusieurs décennies, un point d’appui bien visible pour saisir de la dynamique du climat terrestre. Je propose de revenir, dans cette conférence, sur les modes d’action et l’histoire de cette spécialité, entre pôles et laboratoires, à partir d’une enquête menée auprès de ses acteurs français. Cette enquête vise le dispositif de production des connaissances mis en oeuvre par ces scientifiques depuis les années 1950. Elle montre également comment cette spécialité a pu contribuer à mesurer l’impact des activités humaines sur le "système Terre", et révèle l’importance de l’environnement (géo)politique dans lequel l’ICS s’est développée.

 

30 Janvier 2019 (Nancy)

Daniel Andler (SND, UMR 8088, Sorbonne Université)

Un modèle biscopique de l’activité scientifique

Résumé : L’activité scientifique est généralement conçue comme une relation entre deux entités, la Nature et le Scientifique ou la Communauté scientifique, la seconde menant sur la première une enquête empirique, et formant ainsi une représentation (version réaliste) ou des modèles (version instrumentaliste) qu’elle s’efforce sans cesse d’améliorer. À cette conception « monoscopique » je propose de substituer une conception « biscopique », selon laquelle le Scientifique, ou la Communauté scientifique, mènent une double enquête, l’une portant sur la Nature, l’autre sur le corpus scientifique, à savoir la totalité des traces publiques laissées par les scientifiques. Ce modèle ne se réduit pas, comme on pourrait le penser, à une re-description du premier, et il est mieux à même de rendre compte des formes les plus fréquentes de changement dans les sciences. Des exemples aideront à saisir la différence.

 

20 février 2019 (Strasbourg)

Pascale Frey-Klett (Directrice de Recherche à l’INRA, Chargée de projet pour le Laboratoire d’Excellence ARBRE, Responsable de l’Initiative « Tous Chercheurs en Lorraine »)

Former par la recherche les citoyens et développer la recherche participative : enjeux et opportunités

Résumé: Mettre la démarche scientifique à la portée de tous, en particulier des plus jeunes, est une nécessité car elle constitue un premier pas dans l’apprentissage de l’esprit critique. C’est la raison pour laquelle des initiatives visant à former par la recherche élèves et enseignants se sont multipliées au cours des quinze dernières années, à l’échelle régionale et nationale.  En parallèle la montée en puissance de la recherche participative, qui s’inscrit dans un mouvement plus vaste de « science ouverte », témoigne d’une volonté partagée des citoyens et des chercheurs de faire avancer ensemble les connaissances scientifiques. Au cours de cette conférence, j’analyserai cette double dynamique en m’appuyant sur différents exemples, et je tenterai de montrer en quoi elle constitue une opportunité aussi bien pour la recherche que pour la société. Je m’interrogerai également sur les moyens à déployer pour la renforcer.

 

6 mars 2019 (Nancy)

Jenny Boucard (Université de Nantes / Centre François Viète)

Genre et mathématiques au 19e siècle : l’exemple de Sophie Germain

Résumé: Sophie Germain (1776-1831) est un exemple emblématique de femme mathématicienne du XIXe siècle, que ce soit durant sa vie ou dans la seconde partie du siècle. Autodidacte, elle fut reconnue pour ses travaux sur les surfaces élastiques et en théorie des nombres. Dans cet exposé, je me focaliserai dans un premier temps sur ses contributions en théorie des nombres afin de montrer quelques relations de Germain avec les différents lieux de savoirs et géomètres de son temps. Cela permettra de questionner les spécificités de ses travaux et de leur réception, du point de vue de son genre, de sa formation ou encore de sa position sociale. Dans un second temps, j’analyserai quelques réceptions du personnage de Sophie Germain et de ses travaux mathématiques sous la Troisième République.

 

20 mars 2019 (Strasbourg)

Léo Mignot et Pascal Ragouet (Université de Bordeaux, Centre Emile Durkheim)

L’innovation biomédicale comme processus translationnel sous gouvernance néolibérale

Résumé : Lorsqu’il entend étudier une innovation, le sociologue fait face à un mot gorgé de significations et de connotations. Il s’agit d’un concept porté par un domaine de recherche dédié, mais aussi d’une injonction politique relayée par les administrateurs de la recherche et de l’enseignement supérieur. Le sociologue fait face également à la puissance de la scénographie individualiste dans l’analyse des découvertes, des inventions et de l’innovation. Certes, les grands modèles élaborés pour comprendre l’innovation insistent sur la dimension collective du processus, mais ils demeurent pétris de finalisme économique et occultent la réalité translationnelle de l’innovation. À l’inverse, nous souhaitons montrer que celle-ci est le produit d’un processus de circulation et de transformation des connaissances porté par le tissage de rapports de coopération au sein du champ scientifique et de différents champs sociaux tels que l’industrie, la médecine – lorsqu’il s’agit d’artefacts biomédicaux (des molécules, des dispositifs médicaux, etc.) – et le champ politique. En nous appuyant sur des études de cas relevant de l’innovation médicale (radiofréquence et ultrasons hautement focalisés), nous chercherons donc à mettre à distance la scénographie individualiste sans retomber dans le finalisme économique.

 

27 mars 2019 (Nancy, salle A104)

David Aubin (Sorbonne Université, Institut de mathématiques de Jussieu-Paris Rive Gauche)

L'Élite sous la mitraille : les normaliens, les mathématiques et la Grande Guerre

Résumé: La grande mortalité de jeunes mathématiciens pendant la Première Guerre mondiale a-t-elle eu un impact négatif sur le développement de la discipline en France ? Trop jeunes pour avoir combattu, les mathématiciens qui ont fondé le célèbre collectif « Bourbaki » dans les années 1930 le pensaient, et ils sont en grande partie responsables de la popularité de cette opinion. C’est en voulant tester sa pertinence historique que ce livre a cherché à mieux connaître la vie, l’œuvre et la mort des normaliens mathématiciens tués pendant la guerre, ainsi que la manière dont a été construite, puis entretenue leur mémoire. Tout en s’appuyant sur une très riche variété de sources, il esquisse une réflexion originale sur l’émergence d’une pensée de l’élitisme républicain en partie basée sur les mathématiques. 

 

24 avril 2019 (Nancy)

Emmanuel Salanskis (Université de Strasbourg)

La révolution darwinienne en philosophie, ou le moment intellectuel de la fin du 19e siècle

Résumé: Dans une conférence de 1909 intitulée « L’influence du darwinisme sur la philosophie », le philosophe américain John Dewey déclarait que « l’“Origine des espèces” a introduit un mode de pensée qui était destiné à transformer la logique de la connaissance, et donc le traitement de la morale, de la politique et de la religion ». Cinquante ans après la publication de L’Origine des espèces, Dewey suggérait donc que la révolution scientifique provoquée par Darwin avait aussi causé une transformation profonde du champ philosophique. Ce jugement peut sembler exagéré à un lecteur contemporain : on pourrait objecter que les deux écoles philosophiques majeures qui se sont constituées au XXe siècle, la philosophie analytique et la phénoménologie, ont globalement traité la théorie de l’évolution comme dénuée de pertinence philosophique (comme Suzanne Cunningham l’a montré dans Philosophy and the Darwinian Legacy). Le propos de ma conférence sera néanmoins d’analyser un moment intellectuel antérieur à cette exclusion : celui de la deuxième moitié du XIXe siècle, au cours de laquelle Darwin a été pris au sérieux par une constellation de philosophes, en particulier en Allemagne. Je montrerai que Nietzsche se situe au carrefour de ces réceptions allemandes et qu’il peut être lu comme un grand interprète de ce moment. Pour ce faire, je présenterai brièvement ses réflexions en matière de théorie de l’évolution de la connaissance, d’histoire évolutionniste de la morale et de « physiologie de l’art ».

 

15 mai 2019 (Nancy)

Audrey Rieber (ENS Lyon, Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités)

Comment penser l’art dans l’histoire ? L’espace comme forme du temps (G. Kubler)

Résumé: Il semble évident de considérer les œuvres d’art et plus généralement d’artisanat comme des ouvrages culturels, produits et témoins d’un lieu historiquement défini. Mais comment précisément envisager l’art dans l’histoire ? Les œuvres y apparaissent-telles au hasard, fruits du génie, c’est-à-dire sans lien avec les précédentes ? Ou forment-elles un ordre dont il faudrait déterminer la forme : linéaire, cyclique, téléologique ? L’enjeu d’une telle question est double. Il est d’abord épistémologique puisqu’il s’agit de penser une cohérence des artefacts et de les ordonner en un tout signifiant. L’enjeu est aussi pratique car l’historisation des objets culturels engage la façon dont nous construisons un passé. La présente conférence, à la croisée de la philosophie, de l’épistémologie de l’histoire de l’art et de l’histoire des sciences, sera centrée sur The Shape of time, un ouvrage publié en 1962 par l’historien de l’art américain Georg Kubler (1912-1996), connu surtout pour ses travaux sur l’art précolombien. Pour lui, la contribution spécifique de l’historien consiste à découvrir les diverses formes du temps ou, pour le dire de manière plus abrupte : « Le sujet de l’histoire est le temps ». Parmi les modèles élaborés par Kubler pour penser le temps culturel seront tout particulièrement examinés les schémas spatiaux et d’inspiration mathématique comme les graphes. En quoi un modèle spatial peut-il constituer une forme du temps ? Quels sont le gain épistémologique et la conséquence théorique de cet emprunt aux sciences formelles pour penser le devenir des œuvres de l’art ?