Séminaire organisé au sein des Archives Henri-Poincaré à partir de l'année universitaire 2024-2025. [English version below]
Esprits non-humains : science, métaphysique, éthique
Lorsque les philosophes et les scientifiques ont étudié l’esprit, ce fut souvent avec le présupposé que l’objet de leur étude était, avant tout, l’esprit humain. Les autres esprits biologiques – animaux – ont longtemps été négligés ou sous-estimés, même s’ils ont été l’objet d’un intérêt croissant au cours des dernières décennies. Plus récemment, les progrès frappants de l’intelligence artificielle ont rendu de plus en plus plausible l’idée d’après laquelle certains systèmes artificiels pourraient, dans un futur proche, être considérés comme des esprits. Reconnaître la réalité ou la potentialité de ces esprits variés soulève des questions théoriques et éthiques cruciales.
Ce séminaire réunit des chercheurs de divers domaines venant de la philosophie théorique et pratique, des sciences cognitives et des sciences humaines, afin de présenter leurs travaux sur le thème des esprits non-humains – qu’il s’agisse d’esprits animaux ou d’esprits artificiels.
Le séminaire est bilingue, avec certaines séances en français et d’autres en anglais.
Lieu et horaires
Les séances du séminaire auront lieu les mardis soir, de 17h15 à 18h45, à Strasbourg, à la Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme (5, allée du Général Rouvillois), en salle Océanie (1er étage), aux dates suivantes.
Les résumés des interventions sont à venir.
- 8 octobre 2024 (17:15-18:45): Tatjana Visak (philosophie morale) : What capacity for welfare do different animal species have and why does it matter? (abstract)
- 25 février 2025 (17:15-18:45): Marion Thomas (histoire des sciences) : Biographies animales, vers une histoire des individus animaux : l’exemple des chimpanzés de l'Institut Pasteur de Kindia, Guinée pendant la période coloniale (résumé)
- 11 mars 2025 [
3 décembre] (17:15-18:45) : Géraldine Aïdan (droit) : L’esprit non-humain est-il une personne juridique comme les autres? (résumé) - 1er avril 2025 (17:15-18:45): Leonard Dung (philosophie de l'esprit) : Conscious experiences in animals and machines
- 17 juin 2025 (17:15-18:45): Charlotte Canteloup (éthologie) : Quelle théorie de l’esprit pour les macaques?
Organisation
Stéphanie Dupouy, François Jaquet, François Kammerer, Manuel Rebuschi.
Le séminaire aura lieu en présentiel, mais les interventions seront également retransmises sur zoom. Si vous souhaitez recevoir les liens Zooms pour le séminaire, merci de bien vouloir vous inscrire sur le formulaire disponible à : https://enquetes.univ-lorraine.fr/index.php/962718?lang=fr
Seminar to be held at the Archives Henri-Poincaré from the 2024-2025 academic year.
Non-human minds : science, metaphysics, and ethics
When philosophers and scientists have studied the mind, they often assumed that what they study is primarily the human mind. Mental capacities of other animals have long been neglected or underestimated, even if they attracted an growing amount of attention in the last decades. More recently, the dramatic the progress of artificial intelligence have made it plausible that artificial systems available in the near-future might become, in some sense, minded. Acknowledging the reality or the possibility of these non-human minds raises a number of crucial theoretical and ethical questions.
This seminar aims at welcoming researchers from various disciplines (theoretical and practical philosophy, cognitive science, social science, humanities) to present their work on the theme on non-human minds (animal minds, artificial minds).
The seminar is bilingual, with some sessions in French and other in English.
Time and place
The seminar will take place on Tuesdays, from 17:15 to 18:45, in Strasbourg, at the MISHA – Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme (5, allée du Général Rouvillois), in the room “Océanie” (1st floor), at the following dates:
- October 8, 2024 (17:15-18:45): Tatjana Visak (philosophie morale) : What capacity for welfare do different animal species have and why does it matter? (abstract)
- February 25, 2025 (17:15-18:45): Marion Thomas (histoire des sciences) : Biographies animales, vers une histoire des individus animaux : l’exemple des chimpanzés de l'Institut Pasteur de Kindia, Guinée pendant la période coloniale (résumé)
- March 11, 2025 [
December 3] (17:15-18:45) : Géraldine Aïdan (droit) : L’esprit non-humain est-il une personne juridique comme les autres ? (résumé) - April 1, 2025 (17:15-18:45): Leonard Dung (philosophie de l'esprit) : Conscious experiences in animals and machines
- June 17, 2025 (17:15-18:45): Charlotte Canteloup (éthologie) : Quelle théorie de l’esprit pour les macaques?
Organization
Stéphanie Dupouy, François Jaquet, François Kammerer, Manuel Rebuschi
The seminar will take place in-person, but the talks will also be broadcasted on Zoom. If you want to receive the zoom links, please register at: https://enquetes.univ-lorraine.fr/index.php/962718?lang=fr
Résumés / Abstracts
Tatjana Visak: What capacity for welfare do different animal species have and why does it matter?
If we know a bit about dogs and their welfare, we seem to be able to make informed guesses about how well off some dog is. We can compare his welfare now to his welfare some weeks ago (when he was ill). We also seem to be able to tell that a particular dog is worse or better off than some other dog, at least in clear cases. But what if we want to compare the welfare of a dog to the welfare of a mouse or a human? Assume that we know a bit about mice and humans too. Assume that we can guess how well off the dog is for a dog, the mouse for a mouse and the human for a human? Is there anything else we need to know to compare their welfare?
Some people argue that different animal species have different capacities for welfare. They argue that a welfare level of, say, 8 out of 10 for a dog may not be the same as a welfare level of 8 out of 10 for a mouse or a human. These people argue that we need to know the capacity for welfare of different species to compare welfare across species. They suggest that capacity for welfare may vary along the line of cognitive capacity or along some other line. Other people argue that this is not the case and that all animals who are subjects of welfare have the same capacity for welfare. This talk introduces this debate, defends the latter view and explains the relevance of this issue.
Géraldine Aïdan. L’esprit non-humain est-il une personne juridique comme les autres ? (résumé)
Lors de cette séance du séminaire nous questionnerons la place que l’esprit non-humain occupe dans le droit contemporain. Nous interrogerons en particulier la manière dont l’esprit - qu’il soit humain ou non humain - est mobilisé par le droit positif et la littérature dans le processus de personnification juridique. Nous nous demanderons alors si l’agentivité juridique attribuée fictivement par le droit contemporain à des entités non humaines (grand singe, rivière, écosystème…) permet la « révolution anthropologique » espérée par certains. Qu’est-ce que le droit peut saisir des phénomènes de l’esprit ? Dans quelle mesure est-il possible de reconnaitre des préjudices psychiques à un robot ou une personnalité juridique à « l’esprit d’un ours » ? Le droit peut-il encore être anthropocentré ?
Marion Thomas. Biographies animales, vers une histoire des individus animaux : l’exemple des chimpanzés des Institut Pasteur de Paris et de Kindia, Guinée pendant la période coloniale
Les biographies d’animaux ont fait l’objet de travaux historiques récents (Baratay, Krebber et Roscher, Montgomery, Munz, Simons). Éric Baratay, notamment, a fait des biographies animales un élément essentiel de sa défense d’une « histoire animale ». Pour Baratay, même si les animaux ne sont pas des créatures douées de parole, il est cependant possible d’écrire leur biographie, en utilisant des « traces, d’indices, à partir desquels […] inférer ». Par ailleurs, Baratay appelle à une « histoire éthologique », qui consiste à croiser des documents historiques avec des connaissances de l’éthologie pour reconstruire l’expérience sensorielle du monde, les motivations et les subjectivités des animaux. Ajoutons que le genre des biographies animales marque une étape récente du développement des Animal Studies depuis leur émergence dans les années 1980 (Dupouy, Van Dorsommers et al.) : traiter des animaux en tant qu’agent de la science et mettre l’accent sur l’individualité/la subjectivité animale et sur la relation des chercheurs et de leurs sujets d’étude. Les biographies animales permettent aussi de souligner le rôle que des animaux individualisés ont pu jouer en science, en complément d’une littérature qui a principalement examiné leur standardisation. Grâce aux biographies d’animaux, il est aussi possible de rendre compte de la dimension matérielle et contingente des expériences, de montrer que les animaux ne sont pas seulement des producteurs de connaissances, mais qu’ils peuvent manifester des réactions particulières à l’égard du matériel et du personnel, et ont la capacité d’influencer les expériences, soit en les facilitant, soit en les ralentissant, soit en les bloquant.
Dans ma recherche, j’ai cherché à reconstruire les biographies de chimpanzés utilisés à l’Institut Pasteur de Paris et celui de Kindia (Guinée) et dans les laboratoires de primatologie américains. En utilisant les traces laissées par ces animaux dans les archives, j’ai reconstitué les trajectoires de six chimpanzés dont Rose, qui fit l’objet d’essais du BCG à l’Institut Pasteur de Kindia, en 1926 et Tarzan, chimpanzé prolifique et au sourire presque humain, dont les représentations populaires permettent de comprendre comment la mémoire coloniale s’est développée depuis l’indépendance de la Guinée (1958) jusqu’à aujourd’hui. Ce sont ces cas sur lesquels je me concentrerai dans mon exposé. L’écriture de biographies d’animaux coloniaux a permis également de rendre visible un autre acteur qui a été sous-estimé, voire ignoré dans la littérature scientifique : les soigneurs. Ainsi, j’ai mis en lumière le rôle des savoirs et pratiques des Guinéens dans les soins, l’alimentation, la manipulation des chimpanzés dans les laboratoires de Kindia et de Paris.
En résumé, écrire une histoire de la science coloniale à travers le prisme des singes m’a conduit à révéler d’autres dimensions de la « machine coloniale » : sa dépendance aux acteurs locaux et à leurs savoirs, le fait que les animaux furent un de ses rouages essentiels, ses dysfonctionnements et ses échecs, sa difficile insertion dans des réseaux scientifiques internationaux. Ce travail se veut donc une contribution à l’historiographie de la science pasteurienne, de la primatologie et des rapports entre science et colonialisme en Afrique.