Le cycle de conférence de l'année universitaire porte sur le thème de l'épistémologie sociale.
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Mardi 12 octobre 2010
Thomas Bénatouïl (Archives Poincaré, IUF).
Les prêtres égyptiens et la digression du Théétète : une réflexion sur les conditions sociales de la connaissance à partir de l'Antiquité [résumé]
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Mercredi 17 novembre 2010
Olivier Roy (University of Groningen)
Rationalité et attentes mutuelles: une excursion aux fondements de la théorie des jeux [résumé]
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Mercredi 8 décembre 2010
Claudine Tiercelin (Institut Jean Nicod, Paris).
Sur la valeur intrinsèquement sociale de la connaissance [résumé]
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Mercredi 19 janvier 2011
Claude Rosenthal (CNRS, Institut Marcel Mauss – CEMS).
Anthropologie de la démonstration [résumé]
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Mercredi 16 février 2011
Laurent Rollet & Philippe Nabonnand (LHSP – Archives Poincaré)
Pourquoi un dictionnaire biographique de la Faculté des Sciences de Nancy? [résumé]
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Mercredi 9 mars 2011
Seymour Mauskopf (Duke University)
"A new discovery upon a new discovery"? The Nobel vs. Anderson (Ballistite--Cordite) patent infringement trial of 1894. [résumé]
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Mercredi 23 mars 2011
Cyrille Imbert (LHSP – Archives Poincaré)
Compréhension individuelle et compréhension sociale. [résumé]
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Vendredi 8 avril 2011
Alvin Goldman (Rutgers, The State University of New Jersey)
How should groups pursue the truth? [résumé]
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Mercredi 29 juin 2011
Kapil Raj (EHESS)
L'histoire d'un inventaire oublié: le "Jardin de Lourixa" de Nicolas l'Empereur (1660-1742) [résumé]
Résumés / Abstracts
- Mardi 12 octobre 2010
Thomas Bénatouïl (Archives Poincaré, IUF).
Les prêtres égyptiens et la digression du Théétète : une réflexion sur les conditions sociales de la connaissance à partir de l'Antiquité
Y a-t-il des conditions sociales spécifiques à l'activité théorique ? L'histoire antique de la philosophie me paraît un bon point de départ pour examiner cette question négligée. Platon et Aristote insistent en effet sur le fait que le "loisir" (scholé) est une condition sine qua non de l'activité philosophique. Je tenterai de présenter et de discuter cette thèse: quel est son contexte historique et garde-t-elle une pertinence aujourd'hui ? Quels sont ses conséquences et ses enjeux épistémologiques, historiques, sociologiques et même politiques ?
- Mercredi 10 / 17 novembre 2010
Olivier Roy (University of Groningen)
Rationalité et attentes mutuelles: une excursion aux fondements de la théorie des jeux
Dans cette communication je présenterai un ensemble de résultats récents à l'intersection de la logique épistémique et de la théorie des jeux. Je soutiendrai qu'ils mettent en lumière l'importance de la notion d'attente mutuelle pour notre compréhension des phénomènes d'interactions sociales, et qu'ils soulèvent un ensemble de questions encore peu traitées, mais d'une pertinence certaine, en philosophie contemporaine de la connaissance.
- Mercredi 8 décembre 2010
Claudine Tiercelin (Institut Jean Nicod, Paris).
Sur la valeur intrinsèquement sociale de la connaissance
Nous sommes presque tous prêts à considérer qu’une connaissance a plus de valeur qu’une croyance, celle-ci fût-elle vraie et justifiée ; mais nous avons beaucoup de mal à dire pourquoi : Parce que la connaissance vise nécessairement le vrai , le bien ? Parce qu’on est parvenu à connaître en suivant une méthode fiable ? Parce que la connaissance suppose certaines vertus de l’agent intellectuel, certaines performances que l’on peut porter à son crédit ? Aussi diverses et difficiles soient les réponses, elles semblent s’accorder sur un point : si la connaissance a une valeur, et si cette valeur a quelque chose d’intrinsèque, alors, il est douteux que la connaissance, non seulement soit intégralement asservie à l’intelligence et à nos intérêts pratiques et sociaux, y compris aux types et méthodes de raisonnements que cela le plus souvent implique, mais plus encore, qu’elle se définisse en ces termes, comme le voudraient certains auteurs tentés par telle ou telle dérive pragmatiste ou sociologique de la connaissance. N’avons-nous le choix qu’entre, d’un côté, le purisme des « véritistes » souvent sourds aux liens que doit avoir la connaissance avec l’action et le bien commun, et, de l’autre, le relativisme « compréhensif », plein de « sollicitude » des néo-pragmatistes ?
Je m’efforcerai de montrer comment ce faux choix est souvent à l’origine des difficultés que l’on voit affleurer dans les discussions récentes sur le problème de la « valeur » de la connaissance ou sur son supposé « noyage », ou encore sur la place que l’on est prêt ou non à accorder, au sein de l’épistémologie, à l’épistémologie sociale. Pour sortir de ce dilemme, je proposerai une autre définition de la connaissance elle-même. Il s’agira de considérer 1) la connaissance non comme une enquête, mais comme la visée même de l’enquête ; 2) l’enquête elle-même non pas comme un simple processus communicationnel et délibératif de questions-réponses, mais comme une méthode scientifique et réaliste d’investigation du réel. Je soutiendrai que cette méthode est soumise à des contraintes externes (rendant parfois impossible le doute lui-même) et à des normes communes qui nous obligent à une éducation rationnelle et sentimentale constante de nos dispositions-habitudes ou de notre sens commun critique, mais qui enracinent aussi la connaissance dans le principe social. Peut-être la connaissance n’a-t-elle en définitive aucune valeur. Après tout, libre à chacun de brûler tous les livres et de préférer le backgammon. Mais si elle en a une, alors cette valeur est intrinsèquement sociale.
- Mercredi 19 janvier 2011
Claude Rosenthal (CNRS, Institut Marcel Mauss – CEMS).
Anthropologie de la démonstration
Quels sont les modes opératoires et les usages des démonstrations contemporaines produites plus particulièrement par les sciences déductives - démonstrations de théorèmes sur support papier ou encore par exemple démonstrations publiques de technologie utilisant des logiciels ou des robots ? Pour apporter des éléments de réponse à cette question, je partirai en premier lieu de résultats d'investigations sociologiques que j'ai menées ces dernières années en Europe et aux Etats-Unis sur l'activité de logiciens et de chercheurs en intelligence artificielle. J’analyserai la diversité des modes de déploiement et des rôles de leurs démonstrations, sans supposer que les usages sociaux de ces dernières se limitent à une démarche d’élaboration ou de « vente » des connaissances. Je montrerai en particulier comment les démonstrations ne sauraient être réduites à une description canonique en termes de preuve (apodeixis) et d’argumentation (epideixis), et que ces dernières peuvent par exemple jouer un rôle d’observatoire pour les démonstrateurs, de support transactionnel, d’instrument de gestion de projet, d’outil de capitalisation ou encore de mise en relation. Ce faisant, je m’efforcerai de mettre en lumière l’existence d’un vaste champ de recherche sur les propriétés anthropologiques des démonstrations dans de nombreux domaines de la vie des sociétés, justifiant des explorations non moins systématiques que celles déployées sur les propriétés épistémologiques de ces opérateurs.
- Mercredi 16 février 2011
Laurent Rollet & Philippe Nabonnand (LHSP – Archives Poincaré)
Pourquoi un dictionnaire biographique de la Faculté des Sciences de Nancy?
Depuis les années 1980, plusieurs dictionnaires biographiques ont été consacrés à la population universitaire. Dans le domaine scientifique, ceux-ci se sont surtout concentrés sur les institutions d’élite (Sorbonne, Collège de France, etc.) et sur les titulaires de chaires, laissant dans l’ombre une vaste population imparfaitement connue: maîtres de conférences, répétiteurs, chefs de travaux, préparateurs, etc. Pourtant, ces «seconds-rôles», ces «seconds-couteaux» «les autres» pour aller vite – ont joué un rôle extrêmement important dans le fonctionnement de ces institutions, aussi bien du point de vue pédagogique que du point de vue scientifique.
Pour les universités de province, et notamment pour les facultés des sciences, un important travail reste à faire. C’est sur la base de ce constat que s’est constitué en 2008 le projet d’un dictionnaire biographique des enseignants de la Faculté des sciences de Nancy pour la période 1854-1918.
L’histoire de la Faculté des sciences de Nancy montre que celle-ci a largement bénéficié d’apports d’enseignants issus de l’enseignement secondaire ou de l’industrie privée… A titre d’illustration, entre 1854 et 1918 la population des professeurs de la faculté représente au maximum une trentaine de personnes, toutes chaires confondues, alors que la population des enseignants représente plus de 150 personnes. Comment ces enseignants étaient-ils recrutés? Quels étaient leurs profils de carrière? Quelles étaient leurs modes d’intervention au sein de l’université? Quelles relations entretenaient-ils avec le monde de la recherche? Peut-on reconstruire la nature et les contenus de leurs enseignements? Autant de questions qui appellent une étude précise, à la frontière de la sociologie et de l’histoire des sciences.
L’étude du pôle scientifique nancéien permet par ailleurs de relativiser l’idée communément admise selon laquelle les universités de province ont constitué des lieux de passages pour des savants de premier ordre attirés irrémédiablement vers Paris. Nancy a certes été un lieu de passage pour certains savants de premier plan (Hervé Faye, Elie Cartan, Victor Grignard, Edmond Rothé). Mais réduire l’histoire de la faculté à ces quelques noms serait un non-sens historique : Nancy a également été un lieu d’épanouissement scientifique et intellectuel pour un grand nombre de savants qui n’ont manifestement pas vécu leur carrière comme un échec ou un exil (citons Gaston Floquet, Lucien Cunéot, Jules Molk, etc.) ; de plus la forte présence de chargés de cours intervenant à la Faculté des sciences inciterait à dépasser la simple opposition Paris / Province, cette population n’analysant probablement pas sa carrière suivant un tel schéma.
Cette intervention proposera une présentation générale de ce projet collectif. Après avoir exposé les choix méthodologiques qui structurent le projet (définition de la population, choix de la période temporelle, types de sources mobilisées, modalités de rédaction des notices, etc.) nous montrerons comment un tel projet apporte des éclairages nouveaux, aussi bien sur l’histoire institutionnelle, que sur l’histoire de l’enseignement ou l’histoire des sciences, ne serait-ce qu’en faisant apparaître de nouveaux lieux, de nouvelles sources et de nouveaux acteurs. Plus particulièrement, nous attacherons à montrer que pour une discipline donnée – les mathématiques – ce projet peut produire des effets de connaissance sur les relations Paris-Province, sur la circulation des hommes et des idées et sur les stratégies de carrière des individus.
- Mercredi 9 mars 2011
Seymour Mauskopf (Duke University)
"A new discovery upon a new discovery"? The Nobel vs. Anderson (Ballistite--Cordite) patent infringement trial of 1894.
The quotation in the title is taken from the transcript of the patent infringement trial, “Nobel versus Anderson,” which was held in London, January 29 – February 14, 1894. The plaintiff was Nobel’s Explosives Company, Ltd. of Ardeer, Scotland; the defendant ostensibly was Dr. William Anderson of the Royal Gunpowder Factory, Waltham Abbey. The subject was the claim of infringement of the patent of January 31m 1888 taken out in Britain by Alfred Nobel for the double-base (nitrocellulose-nitroglycerin) smokeless military propellant, “Ballistite,” in the development of another double-base military propellant, “Cordite.”
In a real sense, the true protagonists of the trial were Alfred Nobel as plaintiff and the British chemists, Frederick Augustus Abel and James Dewar, the principal developers of Cordite, as defendants. These three men represented new scientific “types” that emerged in the nineteenth century: Nobel, one of the first chemical inventor-entrepreneurs, parlayed his explosives improvements – particularly dynamite – into a world-wide cartel. Abel was one of the first full-time government professional scientists, “chemist to the War Department.” Dewar, with chairs at Cambridge and the Royal Institution, was a representative of the professional academic chemist that became dominant in the course of the nineteenth century. But, although primarily a “pure” research scientist, Dewar was also very much interested in carrying out profitable consulting work in applied chemistry, both for industrialists and the government, including profit from patents.
Nitrocellulose and nitroglycerin represented a new type of explosive: organic high explosives, far more powerful than gunpowder. They proved to be essential to modernization taking place in Europe and the United States – industrial, military, political –and, by extension, in the colonial territories that comprised much of the rest of the world.
My book narrative concerns the interaction of the protagonists over the explosives that they develop from nitrocellulose and nitroglycerin. It has a highly dramatic – even tragic – contour to it. In the first part (1867 – 1875), the interaction between the protagonists (Abel and Nobel) is acrimoniously competitive. By the 1880s, acrimony turned to cordiality (between Nobel and Abel and Dewar) but this was short-lived. Competition, duplicity, and acrimony arose from the simultaneous invention of Ballistite by Nobel and the establishment by the British government of an “Explosives Committee,” charged to find and develop a smokeless military propellant, chaired by Abel and including Dewar as a member. The climax – and denouement – was the patent infringement trial of 1894.
I shall outline the above as background to my discussion of issues related to the trial. These include: the rise of patent-infringement trials during the “Second Industrial Revolution” of the last quarter of the nineteenth century; the use of expert scientific witnesses with resultant contested scientific claims; the issue of scientists taking out profitable patents for the products they develop while working under government auspices; and the morality of such scientists utilizing for their own benefit materials officially solicited from and provided by private individuals.
- Mercredi 23 mars 2011
Cyrille Imbert (LHSP – Archives Poincaré)
Compréhension individuelle et compréhension sociale.
La compréhension est d’ordinaire considérée comme un état individuel. Si on en reste à des résultats scientifiques produits par des individus singuliers, le sujet scientifique peut ainsi être à la fois le lieu de la connaissance et le possesseur de la compréhension qu’elle permet.
Il n’en est plus nécessairement ainsi quand on considère des connaissances créées et possédées par des groupes de chercheurs, a fortiori s’ils s’appuient sur des calculateurs. Les épistémologues ont d’ailleurs pris acte de cet état de fait en développant différentes notions de connaissance de groupe. Mais le problème se pose tout autant, voire de façon encore plus aiguë, à propos de la notion de compréhension. Quel peut être en effet le statut de la compréhension dans ce nouveau cadre? Et les connaissances possédées par un groupe peuvent-elles être comprises au même sens que les connaissances possédées par un individu?
Cette présentation sera d’abord consacrée à clarifier les problèmes et les questions méthodologiques liés à une étude de la compréhension sociale. Je proposerai ensuite une notion minimaliste de compréhension sociale et essayerai d’identifier certaines des conditions dans lesquelles cette compréhension peut être développée par un groupe.
- Vendredi 8 avril 2011
Alvin Goldman (Rutgers, The State University of New Jersey)
How should groups pursue the truth?
When groups pursue the truth, what mix of attention and emphasis should be paid to expertise versus inclusiveness? Is the "crowd" always wise? If not always, under what conditions? When (if ever) should deference be given to experts in determining a group's opinion? Which experts should be selected to receive such deference, and by what methods and criteria should suitable experts be selected?
- Mercredi 29 juin 2011
Kapil Raj (EHESS)
L'histoire d'un inventaire oublié: le "Jardin de Lourixa" de Nicolas l'Empereur (1660-1742)
Pour les nations européennes qui s'étaient engagées dans la conquête du monde, dresser l'inventaire des flores locales constituait un enjeu prioritaire. De volumineux herbiers furent préparés par les Portugais, les Hollandais et les Britanniques. Un chirurgien français de Chandernagor consacra plus de trois décennies au début du XVIIIe siècle à mener à bien une entreprise similaire, mais son travail fut méprisé par les savants parisiens. Pourquoi ?