Ce projet vise à préciser la nature et à discuter les conséquences épistémologiques – mais aussi à certains égards éthiques et politiques – de la possible intervention, dans l’histoire des sciences et des techniques, de processus mettant en jeu ce que l’on a appelé une « dépendance vis-à-vis du chemin suivi » (en anglais : “path dependence”).
Pour simplifier la rédaction, on utilisera ci-dessous l’abréviation « PAD », comme path dependence (en privilégiant la langue anglaise comme source, car l’immense majorité de la littérature spécialisée sur ces questions s’écrit en anglais), et on s’autorisera à parler de la PAD d’une technique, d’une théorie, d’une connaissance scientifique, ou de tout autre ingrédient X de l’histoire des sciences et des techniques susceptible d’être sujet à une dépendance vis-à-vis du chemin suivi.
A examiner les usages de l’expression « dépendance vis-à-vis du chemin suivi » en philosophie des sciences et dans les autres disciplines réflexives qui prennent pour objet le développement scientifique et technique, on peut distinguer un sens étroit et des sens plus larges de l’expression, renvoyant à des configurations diverses que le projet s’emploiera à caractériser plus finement et à cartographier.
La PAD au sens étroit : auto-renforcement des avantages initiaux et effets de verrouillage
La PAD au sens étroit sera prise comme point de départ du projet restreint.
i/ Jusqu’ici, elle a premièrement été étudiée à propos du développement des techniques et technologies, notamment dans le champ de l’économie (Veblen 1966/1915 ; David 1975, 1985, 1994, 2001 ; Arthur 1988, 1989 ; David & Dasgupsa 1994 ; Liebowitz & Margolis 1995), mais une originalité du projet restreint est précisément d’examiner jusqu’à quel point les processus caractérisés dans le cas des techniques peuvent s’appliquer aussi au cas du développement des connaissances scientifiques, et avec quelles différences.
ii/ En première approche, la PAD au sens étroit renvoie à l’éventualité suivante, souvent illustrée à partir de l’exemple du clavier QWERTY mis en avant par (David 1985).
Soit une situation dans laquelle se pose la question du choix entre plusieurs options concurrentes – typiquement entre plusieurs techniques rivales remplissant des fonctions similaires, mais aussi, possiblement, entre plusieurs théories scientifiques rivales. L’idée est que certains événements dont personne ne conteste le caractère contingent (par exemple le fait que dans les années 1890, les pratiques dactylographiques ont été développées en même temps que les claviers de type QWERTY), souvent décrits comme des « accidents de l’histoire », sont susceptibles de produire, du simple fait qu’ils adviennent à tel moment plutôt qu’à tel autre, et bien que rien ne semble empêcher en principe qu’ils auraient pu advenir plus tôt, plus tard, ou pas du tout, des effets « d’auto-renforcement » (“self-reinforcement”) toujours plus marqués. Ces effets d’auto-renforcement peuvent s’emballer toujours davantage, jusqu’à devenir « quasiment irréversibles » et aboutir à des phénomènes de « verrouillage » (en anglais : “lock in effects”). Il y a « verrouillage », quand l’option sélectionnée par le processus historique (dans notre exemple le clavier QWERTY) devient « quasiment inévitable » du point de vue des acteurs sociaux individuels, en raison du fait que toute autre option en principe envisageable s’avérerait comparativement, en pratique, « excessivement coûteuse ».
Ainsi, dans notre exemple, les entreprises qui, au tournant du 20ième siècle, ont eu à s’équiper en machines à écrire, ont été presque inévitablement conduites à investir dans les machines intégrant un clavier de type QWERTY, dans la mesure où l’immense majorité des dactylos disponibles sur le marché était optimalement compétente pour ce type de clavier : on parle souvent de “technical interrelatedness” pour qualifier cette symbiose entre plusieurs techniques, à savoir, ici, d’un côté la technique dactylographique maitrisée par la plupart des membres de la profession disponibles sur le marché, et, de l’autre, la technique définitoire du modèle de clavier QWERTY. Privilégier un autre modèle de clavier aurait impliqué de devoir former ou re-former, durant un temps non négligeable et à nouveaux frais, une main d’œuvre qui devienne experte pour ce nouveau modèle. Alors que choisir l’option QWERTY déjà dominante permettait de bénéficier de ce que les anglophones nomment une “positive network externality” : en l’occurrence, de bénéficier d’un large réseau déjà disponible de personnes maximalement performantes avec ce type de clavier.
Les effets de verrouillage rendant le choix d’une option quasiment inévitable peuvent se produire y compris dans les cas – et c’est premièrement le risque de tels cas qui a amené les économistes à se préoccuper de la PAD – où une alternative concurrente apparaitrait, du point de vue de ses performances techniques ou scientifiques, supérieure à celle que le processus historique a conduit à placer en situation de monopole. En rapport avec l’exemple QWERTY, on invoque souvent à ce titre le clavier DSK (“Dvorak Simplified Keyboard”), réputé permettre de taper les mêmes textes plus rapidement que le QWERTY. Ainsi, la PAD au sens étroit peut aboutir à l’adoption massive de solutions techniques « sub-optimales », c’est-à-dire reconnues inférieures à d’autres solutions qui auraient pu être privilégiées.
iii/ L’un des objectifs importants du projet de recherche sera de discuter jusqu’à quel point les processus du type de ceux qui viennent d’être illustrés sur l’exemple de la technologie QWERTY peuvent s’appliquer aussi au cas du développement des connaissances scientifiques.
S’il ne fait aucun doute que sont susceptibles de survenir des phénomènes d’auto-renforcement pour une option théorique, ainsi que des symbioses entre un cadre théorique dominant et des techniques intellectuelles et matérielles maitrisées par les professionnels d’une spécialité scientifique à une époque donnée (Pickering 1995, Hacking 1992), la question de la sélection et du verrouillage de solutions théoriques « sub-optimales » est plus délicate.
Elle se laisse énoncer ainsi, exprimée dans les termes de l’un des rares auteurs qui s’y est attaqué de front, à savoir l’économiste Mark S. Peacock (dans le sillage de Jolink & Vromen 2001) : “the attention that path dependence has attracted in economics is partly due to the possibility that path-dependent processes lead to Pareto-suboptimal outcomes. Is there an equivalent in the development of scientific knowledge? That is, can path dependence in the production of scientific knowledge lead us to conclude that a currently valid scientific theory be inferior to an alternative that, because of historical accidents, was not selected (or even developed) by the scientific community?” (Peacock 2009, 118).
Cette question sera au cœur du projet restreint de recherche.
La PAD au sens large : l’histoire importe
i/ Au sens le plus large (englobant le sens étroit), affirmer, à propos d’un item X quelconque ayant joué ou jouant un rôle important dans l’histoire des sciences et des techniques (par exemple une technique massivement utilisée ou une théorie scientifique ayant statut de connaissance en vigueur dans un contexte social donné), une dépendance vis-à-vis du chemin suivi, c’est suggérer que la situation de ce X (dans notre exemple le fait d’être massivement utilisée pour une technique ou le fait d’avoir valeur de connaissance validée pour une théorie scientifique), et ultimement l’existence même de ce X (l’invention de cette technique ou l’émission de cette théorie), sont irréductiblement tributaires d’événements contingents d’un processus historique singulier dont elles ne sauraient être détachées.
Au sens le plus large, la PAD a souvent été retraduite à partir de la formule : « l’histoire importe » (“history matters”). Ce qui rassemble les promoteurs d’un tel slogan, c’est la critique d’une tendance – présentée comme encore dominante dans les années 1989/1990 – à traiter les objets étudiés comme an-historiques, et l’affirmation corrélative qu’il est plus pertinent de les considérer comme des réalités ne pouvant être détachées, ou « trop » détachées, des détails de la trajectoire passée.
ii/ Cette critique s’est exprimée en ces termes de manière particulièrement marquée et virulente dans le champ de l’économie en rapport avec la question du développement des techniques (voir les références mentionnées plus haut). Mais on la retrouve aussi sous d’autres formes en philosophie des sciences, en sociologie des sciences, et en histoire des sciences, dans le cadre du « tournant pratique » des études sur les sciences qui s’est amorcé à partir des années 1980, notamment à travers le reproche, adressé aux investigations antérieures, de s’être presque exclusivement préoccupées des produits scientifiques, et d’avoir négligé le détail des processus historiques par lesquels ces produits en sont venus à être élaborés, stabilisés, et institutionnalisés comme produits – notamment comme connaissances scientifiques (pour une vue d’ensemble du tournant pratique insistant sur cet aspect, voir Soler, Zwart, Israel-Jost & Lynch 2014 ; Soler 2015c).
Ainsi, des promoteurs du tournant pratique tels que le sociologue des sciences Andrew Pickering (1984, 1995) ou le philosophe et historien des sciences Hasok Chang (2004, 2012a) ont proposé des études détaillées de cas qui mettent en évidence la manière et le point auquel les options scientifiques précédemment privilégiées conditionnent celles qui suivent.
Comme le résume Pickering sur la base de ses nombreuses investigations en physique des particules : “my analysis of practice (…) points to a situatedness and path dependence of knowledge production. On the one hand, what counts as empirical or theoretical knowledge at any time is a function not just of how the world is but of the specific material-conceptual-disciplinary-social-etc. space in which knowledge production is situated. On the other hand, what counts as knowledge is not determined by the space in which it is produced. (…) one needs also to take into account the contingencies of practice, the precise route that practice takes through that space. The contingent tentative fixing of modelling vectors, the contingent resistances that arise, the contingent formulation of strategies of accommodation, the contingent success or failure of these – all of these structure practice and its products” (Pickering 1995, 185, italiques dans l’original).
iii/ A noter que dans de tels contextes, la dépendance en question ne survient pas du tout forcément pour le pire comme on soupçonne que ce peut être souvent le cas en rapport avec la possible « sub-optimalité » de la PAD au sens étroit.
Ainsi par exemple, les processus « d’itération épistémique » analysés par (Chang 2012a) à propos de l’histoire des premières tentatives pour évaluer les températures aboutissent à disposer d’outils de mesure et de valeurs mesurées toujours plus précises. De même, Pickering soutient que les évolutions dépendantes du chemin suivi qu’il analyse dans le domaine de la physique des particules correspondent à un progrès.
Esquisse des enjeux
i/ L’enjeu épistémologique fondamental de toute forme de PAD est la question de la contingence des items X qui, dans le processus dynamique de l’histoire humaine, ont été stabilisés en tant que « produits cognitifs et techniques fiables » ou en tant que « produits cognitifs et techniques préférables à des alternatives concurrentes envisageables », et en sont ensuite venus à acquérir une position sociale dominante, voire complètement hégémonique (situation de total monopole excluant toute alternative).
En effet, si l’émergence, la stabilisation, l’institution et la diffusion comme fiables, voire l’hégémonie sociale d’une théorie scientifique ou d’une technique quelconque X sont foncièrement dépendantes – ne peuvent être suffisamment détachées – d’événements historiques dont personne ne conteste qu’ils auraient parfaitement pu être autres, alors, s’impose immédiatement le soupçon que ces X sont eux-mêmes contingents. On soupçonne que si certains événements historiquement advenus avaient été différents, ces théories et ces techniques auraient pu ne jamais exister ou exister avec un statut notablement différent, et que d’autres croyances et d’autres moyens, possiblement très disparates, auraient pu occuper leur place au titre de connaissances et de techniques en vigueur.
ii/ Ce soupçon heurte surtout les intuitions communes lorsqu’il est dirigé sur les connaissances scientifiques (plutôt que sur les techniques), et il les heurte tout particulièrement lorsqu’il prend la forme d’une thèse philosophique contingentiste selon laquelle ce que nous tenons aujourd’hui pour nos théories scientifiques les plus solidement validées aurait pu être légitimement remplacé par d’autres théories scientifiques incompatibles mais tout aussi solidement validées (pour des développements sur les thèses de cette espèce, voir Kinzel 2015a ; Soler 2006, 2008a, 2008b, 2009 Ch.IX, 2015a, 2015b, 2018 ; Soler & Sankey 2008 ; Soler, Trizio & Pickering 2015 ; pour des méta-analystes des sciences emblématiques ayant soutenu des thèses de cette espèce, on pourra se référer à Cushing 1994 ou Pickering 1995).
En effet, à propos de ce qui a valeur de connaissance scientifique, le « sens commun » (comme aussi un certain nombre de philosophes des sciences) est animé par des intuitions inévitabilistes et réalistes, selon lesquelles « la réalité » – l’objet visé et étudié par une enquête scientifique – introduit des contraintes suffisamment fortes pour imposer à plus ou moins long terme aux humains, que ce soit par un chemin ou un autre, certaines croyances qui étaient inévitables – et n’auraient donc pu être légitimement incompatibles –, dans la mesure où elles fournissent des descriptions approximativement fidèles de l’objet d’étude « tel qu’il est ».
Ces intuitions inévitabilistes et réalistes dominantes sont solidaires d’un idéal régulateur moniste associé à un réquisit d’unicité, selon lesquels la mission fondamentale des scientifiques est de reconnaitre et de sélectionner, dans chaque état de développement où se présentent des options concurrentes conflictuelles, la meilleure option théorique, celle qui a vocation à constituer le cadre des recherches futures (Chang 2015 ; Pickering 2015 ; Soler 2015b, 2018).
iii/ Lorsque le soupçon de contingence est dirigé seulement sur les techniques, il parait au premier abord relativement anodin. Car à propos des techniques ou des technologies, les intuitions dominantes s’accommodent sans problème du pluralisme et du contingentisme : le « sens commun » n’a aucun mal à admettre que plusieurs techniques permettent d’atteindre un même but visé, que de multiples techniques basées sur des principes très différents peuvent légitimement cohabiter, et que les options techniques qui dominent dans notre monde auraient parfaitement et légitimement pu être autres.
Au deuxième abord, cependant, admettre la contingence des techniques aux sens précédents ne peut pas ne pas avoir de répercussions au niveau de ce qui acquiert valeur de connaissance scientifique, au moins dans les sciences empiriques (discuter si le cas apparemment particulier des mathématiques fait exception à cet égard constituera aussi l’un des objectifs du projet). En effet, les processus par lesquels les connaissances scientifiques sont élaborées et établies dans ces sciences recourent de manière massive et constitutive (« symbiotique ») aux techniques et technologies accessibles dans chaque état de développement (Pickering 1995). Dans ces conditions, si reconnaitre une certaine contingence des techniques qui peuplent notre monde n’implique pas nécessairement d’admettre le caractère contingent des connaissances, prendre acte de la contingence des techniques appelle au moins une discussion approfondie des incidences de cet état de choses en matière de contingence de ce qui en vient à compter comme une connaissance scientifique.
iv/ La PAD au sens étroit pose des questions plus spécifiques associées à des enjeux eux-mêmes plus spécifiques, non seulement sur le plan épistémologique, mais aussi sur le plan éthique et au niveau des politiques publiques en matière de développement et d’éducation scientifiques et techniques.
En effet, comme suggéré plus haut, la possibilité de configurations impliquant une PAD au sens étroit apparait potentiellement inquiétante, dans la mesure où le triomphe, voire l’hégémonie de l’option qui en vient à dominer, tient essentiellement à un avantage initial qui peut parfaitement avoir été acquis pour de « mauvaises » raisons.
Bien évidemment, le sens et les justifications de jugements de valeur de cette espèce exigent d’être interrogés, ce qui constituera l’un des objectifs centraux du projet restreint. Mais le point fondamental, sur le plan épistémologique, est que quelles que soient les raisons – que ces raisons soient bonnes ou mauvaises, qu’elles procèdent de décisions réfléchies ou irréfléchies, qu’elles soient sages ou foncièrement critiquables, voire qu’elles s’identifient à des erreurs patentes –, le processus de PAD au sens étroit peut s’engager et les effets de verrouillage s’ensuivre – conduisant alors par exemple à inonder une société de technologies que l’on peut critiquer comme très « sub-optimales » par rapport à des alternatives envisageables, ou semblablement (même si la pertinence de cette analogie reste à discuter et le sera dans le cadre du projet restreint), à former des générations de scientifiques à partir d’un cadre théorique que l’on peut critiquer comme très « sub-optimal » par rapport à des alternatives envisageables.
Le risque de telles configurations pointe vers des enjeux importants au niveau des politiques publiques impliquant les sciences et les techniques : comment les décideurs à propos du développement scientifique et technique et à propos de la formation des futurs professionnels de ces domaines devraient-ils procéder pour minimiser l’avènement de telles configurations ? Comment devraient-ils réagir au cas où elles surviennent néanmoins ?
Divers penseurs ont soutenu que le risque d’une PAD plaçant en situation de monopole une option « sub-optimale » rendait désirable des politiques publiques plus pluralistes à propos du développement des sciences et des techniques (voir entre autres David & Dasgupta 1994 ; Callon 1994 ; Campbell 1986), et ont, au moins en partie pour cette raison, milité contre la « culture mono-scientifique » (Fuller 2005). Exprimé par Peacock : “the state should fund diverse scientific projects and support the exploration of different paths, lest scientific knowledge be led irreversibly onto one path whose epistemological superiority cannot be guaranteed” (2009, 120).
On peut corrélativement suggérer que la formation des futurs professionnels des sciences gagnerait à être plus ouverte à la diversité. Ceci, en particulier afin que les acteurs aient pratiqué, et ainsi expérimenté, les atouts et limites d’une variété de cadres, et se trouvent ainsi mieux à même de procéder en connaissance de cause à une évaluation comparative des options concurrentes (Chang 2015).
La question de l’éducation scientifique est évidemment cruciale, puisque non seulement elle détermine les cadres théoriques connus, mais aussi, et peut-être plus fondamentalement, car elle conditionne les savoir-faire et les normes de scientificité qui sont incorporés comme une « seconde nature » via la pratique de certains types de problèmes et de solutions, engageant au total l’idée même de science avec laquelle opéreront ensuite les professionnels de la discipline.
C’est déjà ce que suggère Thomas Kuhn dès les années 1960, à travers l’idée d’une science « normale » organisée autour d’un « paradigme scientifique » unique qui opère comme ciment et boussole pour les praticiens des sciences après avoir été inculqué via une éducation scientifique largement moniste (Kuhn 1962/1970, 1969/1970, 1977/1990 ; Soler 2009 Ch. VII et IX ; Soler 2014). En effet, le paradigme remplit cette fonction en fournissant des solutions standard exemplaires communes qui, fréquentées de manière répétitive par les étudiants scientifiques tout au long de leur cursus, et in fine complètement intériorisées, transforment progressivement ces étudiants en experts de la discipline, en les rendant capables de voir les nouveaux problèmes encore irrésolus sur le modèle d’anciens problèmes déjà maitrisés, et de les résoudre alors par analogie sur la base des solutions déjà connues (adaptation et transposition analogiques plus ou moins créatives de ces dernières). Il y a là un processus potentiellement générateur de PAD qui, si l’éducation scientifique se développe à partir d’un paradigme unique, peut susciter des inquiétudes à propos d’autres chemins potentiellement féconds mais rendus inaccessibles.
Les raisons en faveur du pluralisme avancées par les économistes en rapport direct avec la PAD à propos des techniques (voir les références mentionnées plus haut) rejoignent souvent celles développées dans d’autres contextes par les philosophes des sciences à propos des théories scientifiques (voir notamment les multiples écrits de Paul Feyerabend ou Hasok Chang sur le sujet).
v/ Au total et en résumé :
- L’enjeu épistémologique premier d’une dépendance des connaissances et des techniques par rapport au chemin suivi, c’est le problème de la contingence ou de l’inévitabilité de ce qui en vient, sur le chemin, à dominer au titre de produit cognitif et technique fiable.
- En relation étroite avec ce problème, intervient aussi presque toujours en arrière-plan, et constitue un second enjeu, la question du réalisme scientifique, car c’est presque toujours une intuition réaliste – la conviction que les connaissances scientifiques peuvent prétendre être un « double approximatif » de la réalité visée par l’enquête – qui nourrit l’instinct inévitabiliste et porte à s’insurger contre l’idée que les humains auraient pu valider légitimement des connaissances incompatibles avec celles de notre science.
- Enfin, un troisième problème, et un troisième enjeu fondamental qui s’avère intimement lié aux deux précédents et que ne peut manquer de considérer une réflexion dédiée à la PAD, réside dans l’évaluation comparée des conceptions monistes ou pluralistes de la science. En particulier, une relaxation du régime moniste de notre science et l’institution d’un régime plus pluraliste permettraient-elle d’être mieux armé face au risque de verrouillage de solutions théorico-techniques « sub-optimales » ?