La philosophie des sciences, et plus généralement les études réflexives consacrées aux sciences, ont, à partir des années 80 et toujours plus depuis, insisté sur la nécessité de ne pas s’en tenir aux théories scientifiques constituées appréhendées via les travaux scientifiques publiés, mais de prendre en compte les pratiques scientifiques (expérimentales, théoriques, technologiques…) considérées dans toutes les dimensions de leur processus dynamique de constitution. Ce « tournant pratique » a introduit de nouvelles méthodes d’analyse de l’activité scientifique, un intérêt pour des aspects jusque-là ignorés ou négligés, et l’investigation de nouveaux objets. En a résulté une multitude d’études de cas finement contextualisées, riches et diversifiées, ainsi que l’émergence de nouvelles problématiques et une transformation de la tonalité des discours sur les sciences. Globalement, les nouvelles études ont conduit à mettre au premier plan le poids de facteurs locaux, l’hétérogénéité des démarches mises en jeu, et la contingence des résultats stabilisés – soit au développement de positions globalement relativistes.
Le problème est que les divers travaux restent largement déconnectés. En résulte une sorte de myopie intellectuelle, fort peu satisfaisante d’un point de vue philosophique. Se fait sentir le manque d’une perspective épistémologique globale basée sur un bilan comparatif systématique. De plus, a surgi une tension irrésolue entre les thèses globalement relativistes issues du tournant pratique et la conviction persistante de la « robustesse » (i. e. solidité, fiabilité), voire de l’universalité, des sciences dures. D’où l’ambition – et l’objectif ultime – du projet de recherche : tirer tous les enseignements de la multitude des nouveaux outils, regards et pistes issus du tournant pratique, en vue de dégager ce que l’abord par les pratiques nous apprend finalement à propos des sciences et de leur spécificité par rapport à d’autres activités humaines. Est visée une caractérisation suffisamment générale, et féconde analytiquement, des pratiques scientifiques et de leurs accomplissements, qui intègre les enseignements souvent perçus comme désillusionnant du tournant pratique, tout en rendant justice à l’intuition persistante que les sciences procèdent rationnellement, établissent des résultats solides et manifestent un progrès interne. L’atteinte de cet objectif ultime passe par l’établissement d’un bilan des divers travaux éparpillés qui se sont développés au sein de l’orientation pratique, ainsi que par le développement d’outils conceptuels transversaux pour l’étude des pratiques scientifiques.