Icone social AHP

Structure du programme de recherche

Le programme comporte trois grands axes de recherche, correspondant à :

 

1. Sept grandes thématiques à explorer :

Quatre sont transversales en ce qu’elles concernent l’ensemble des pratiques scientifiques :

  • Stratégies scientifiques prototypiques pour l’établissement de résultats fiables

Si les études historiques, philosophiques et sociologiques de la seconde partie du 20ième siècle ont montré qu’il fallait renoncer à l’idée d’une méthode scientifique rigide qui imposerait à tout scientifique à la manière d’un algorithme, face à un problème donné, la bonne décision à prendre ou la bonne conclusion à tirer, on peut néanmoins repérer, dans les pratiques effectives, un certain nombre de démarches ou de stratégies prototypiques qu’il est instructif de caractériser et d’interroger. On accordera un intérêt particulier, quoique non exclusif, aux stratégies expérimentales. Dans la sphère expérimentale, le but ultime de ces stratégies peut être décrit comme l’établissement de faits expérimentaux authentiques (par opposition à des artéfacts expérimentaux).

  • Robustesse des pratiques et des résultats scientifiques

En 1981, William C. Wimsatt [Wimsatt 1981] a introduit une caractérisation spécifique de la « robustesse », qui, tout en maintenant l’association commune du terme avec les idées de solidité, de fiabilité et d’efficacité, est plus spécifique et technique, et peut être résumée par l’équation : ‘X est robuste = X reste invariant sous un nombre important de déterminations indépendantes’ (au sens large de « déterminations » : moyens d’identification, modalités sensorielles, processus de mesures, tests, modèles, niveaux de description…). Cette proposition sera prise comme point de départ pour caractériser diachroniquement et synchroniquement ce qui confère sa « robustesse » à un ingrédient d’une pratique scientifique.

  • Aspects tacites des pratiques scientifiques : nature et conséquences épistémologiques

L’un des effets du tournant pratique des études sur les sciences a été de diriger l’attention vers les présupposés, savoir-faire, compétences et habiletés largement tacites, et impossibles à expliciter complètement, qui sont à l’œuvre dans les pratiques scientifiques en général et dans les pratiques expérimentales en particulier. Dans le prolongement de ces suggestions, de nombreuses études ont cherché à caractériser les savoirs et savoir-faire tacites, leur mode d’acquisition et de transmission, et la manière dont ils interviennent dans l’activité scientifique et l’établissement de ses résultats. Des thèses très polémiques ont été soutenues à ce sujet, notamment par le sociologue des sciences Harry Collins. Du point de vue de cette thématique, il s’agira : de dresser un état des lieux, de confronter et de discuter les conceptualisations existantes relatives aux aspects tacites des pratiques scientifiques ; de proposer une conceptualisation renouvelée ; de contribuer à la discussion des conséquences épistémologiques controversées de l’intervention d’aspects tacites dans les pratiques scientifiques (difficultés induites au niveau des transferts-diffusion des acquis expérimentaux, problèmes d’applicabilité du principe, supposé caractériser la science, de la substituabilité des hommes de science les uns aux autres…).

  • Contingence/inévitabilité des pratiques scientifiques et de leurs accomplissements

Ian Hacking, à qui l’on doit la terminologie « contingentisme / inévitabilisme », est l’un des rares à avoir amorcé une analyse frontale et systématique du problème ([Hacking 2000]). Il définit le contingentisme comme la position affirmant la possibilité d’une science aussi performante et progressive que la nôtre mais radicalement autre en teneur, notamment au plan ontologique. Il nomme la position antagoniste « inévitabilisme », qu’il définit comme affirmation que toute science aussi performante et progressive que la nôtre qui se serait posée les mêmes questions que la nôtre devait inévitablement aboutir à des réponses fondamentalement compatibles avec les nôtres. Du point de vue de cette thématique, il s’agira notamment : de contribuer à faire reconnaître l’importance épistémologique de la question au sein de la communauté des philosophes des sciences, de la faire exister en tant que chapitre autonome des études sur les sciences (ce qui n’est pas le cas actuellement) ; de déployer le réseau des relations qui existent entre réalisme scientifique et inévitabilisme d’un côté, constructivisme et contingentisme de l’autre ; t d’analyser les types d’arguments que l’on peut espérer invoquer en faveur de chacun des deux pôles de l’opposition. (Voir [Soler 2006], [Soler 2008] et [Soler 2009] chapitre IX).

Deux thématiques sont susceptibles de concerner un large ensemble de pratiques scientifiques relevant de disciplines diverses :

  • Images scientifiques : processus de production et fonctions épistémologiques

Les pratiques de laboratoires produisent et exploitent divers types d’images et de diagrammes. Pourtant, les images scientifiques au sens large ont davantage retenu l’attention des historiens et des sociologues des sciences, depuis les années 1960, que celle des philosophes. Catherine Allamel-Raffin, l’une des membres de PratiScienS, travaille depuis plusieurs années, en collaboration avec Jean-Luc Gangloff, à une caractérisation épistémologique des images scientifiques. Les travaux de C. Allamel-Raffin, appuyés notamment sur des études ethnographiques de laboratoires de physique et d’astrophysique menées entre 2000 et 2007 en France et aux EU, ont permis d’élaborer une première classification des types d’images produites en physique des matériaux et en astrophysique. Ils ont également eu pour ambition de dégager les fonctions des images à la fois dans le processus de recherche et dans la diffusion des résultats. Amirouche Moktefi, autre membre de Pratisciens, travaille également sur le statut des images scientifiques, particulièrement sur le cas des diagrammes en mathématiques et en logique. Le groupe PratiScienS s’appuiera sur ces recherches et les autres travaux existants sur la question, pour développer / raffiner l’élaboration théorique, nourrir la réflexion sur les stratégies expérimentales, la robustesse, la contingence et les aspects tacites, et développer une perspective comparative entre le cas de la physique et celui des sciences de la vie.

  • Simulations : typologie et valeur probatoire

Les pratiques de simulation sont devenues, au cours des dernières décennies de plus en plus présentes et importantes dans les sciences contemporaines. L’essor de ces pratiques est fortement lié à l’emploi d’un outil particulier, l’ordinateur. D’un point de vue philosophique, les simulations sont intéressantes, notamment en ce que leur statut pose problème. S’agit-il d’un type d’activité fondamentalement nouveau ? A-t-on affaire à une activité théorique, ou plutôt expérimentale, ou à un type hybride ? Doit-on distinguer différentes catégories de simulations ? Les réponses apportées à ces questions engagent le statut et la force des résultats obtenus comme conclusions de simulations. Elles passent par une réflexion sur les fonctions et les incidences de l’ordinateur, aujourd’hui, dans les sciences.

La dernière thématique porte sur deux disciplines traditionnellement considérées comme ayant un statut à part, présupposé qu’il s’agira d’interroger à travers l’abord de ces disciplines par les pratiques :

  • Spécificité des pratiques mathématiques et logiques

La question d’une analyse épistémologique des pratiques scientifiques se pose aussi bien pour les mathématiques et les logiques que pour d’autres sciences. Cependant, à quelques exceptions près, la plus grande partie de la littérature disponible consacrée aux pratiques scientifiques porte sur les sciences empiriques et spécialement expérimentales. Du coup, les concepts forgés ne s’appliquent pas toujours aisément aux pratiques mathématiques et logiques. Dans une telle situation, le but est d’élaborer un schème conceptuel approprié aux pratiques mathématiques et logiques, qui permette d’en appréhender la spécificité par rapport aux pratiques expérimentales mais aussi à d’autres pratiques théoriques.

 

Ces sept grandes thématiques seront travaillées en référence à différentes études de cas. Elles seront notamment interrogées à travers deux études « de terrain » dans des laboratoires scientifiques.

Est visée une caractérisation à plusieurs niveaux qui fournisse, à la fois et en interaction, d’une part des concepts généraux valant comme outils transversaux pour saisir de manière opérante de multiples pratiques, d’autre part des descriptions précises de cas particuliers qui illustrent et spécifient les schémas généraux.

2. Deux études de « terrain » de la science « en train de se faire »

Pour accorder sa méthode à ses buts, le projet PratiScienS appuiera ses analyses épistémologiques, non seulement sur des études historiques classiques traitant d’épisodes scientifiques passés, mais aussi sur des études plus directes, dites « de terrain », de la science « en train de se faire ». Deux études de ce type serviront de référence aux recherches, l’une en pharmacologie, l’autre en physique des matériaux. Elles devraient pouvoir nourrir des perspectives comparatives entre expérimentation en physique et dans les sciences de la vie.

  • Etude dans un laboratoire de physique des matériaux

Site concerné : l’Institut Jean Lamour (IJL, UMR 7198, Université Henri Poincaré de Nancy 1). Il s’agit d’un important centre de recherche de physique des matériaux. L’étude de terrain se poursuit principalement dans le groupe «Electronique de spin et nanomagnétisme»

Cette étude de terrain est conduite par Sandra Mols, et elle est déjà engagée.

Objectif épistémologique du post-doctorat. Etudier – notamment mais pas seulement à travers l’étude de terrain au LPM – comment les scientifiques réussissent à obtenir des résultats robustes grâce à l’emploi d’une série d’éléments liés les uns aux autres par une relation d’ajustement mutuel. Il s’agit, en particulier, de comprendre la façon dont les chercheurs peuvent intervenir sur ces différents éléments pour rendre un résultat robuste, quels sont les degrés de liberté dont ils disposent, et, comment ils parviennent à un consensus sur le résultat final d’une recherche.

  • Etude dans un laboratoire de pharmacologie

Site concerné : le laboratoire « Inflammation et environnement dans l’asthme », EA 3771, intégré à la Faculté de Pharmacie de Strasbourg.

Cette étude de terrain est conduite par Catherine Allamel-Raffin, et elle est déjà engagée.

Objet de l’étude d’un point de vue épistémologique : l’intérêt des recherches conduites par Catherine Allamel-Raffin dans ce laboratoire a d’abord été focalisé sur la question des images scientifiques. Dans le cadre du projet PratiScienS, l’étude est également exploitée pour nourrir la réflexion sur les autres thématiques du programme qui s’y prêtent (stratégies expérimentales, robustesse, aspects tacites…

3. La constitution d’une base de données relative aux pratiques scientifiques et à ceux qui s’y intéressent

Appuyée sur un état des lieux systématique, qui s’efforcera d’être aussi exhaustif que possible, de la bibliographie pertinente, la base de données vise à : (a) fournir aux chercheurs intéressés par les pratiques scientifiques un répertoire de références mais aussi de ressources méthodologiques et conceptuelles facilement manipulables ; (b) permettre l’identification du réseau international des individus concernés ; (c) favoriser les interactions entre ces derniers.

A terme, la banque de données, hébergée dans un site internet, se déclinera en versions française et anglaise, et elle intègrera : (a) Une bibliographie évolutive ; (b) Des notices bibliographique comportant, pour un article, ouvrage ou chapitre d’ouvrage donné, un bref résumé assorti de mots clé, une synthèse des développements (incluant les thèses soutenues et outils conceptuels élaborés), et une appréciation relative aux apports du point de vue de l’abord des sciences sous l’angle des pratiques ; (c) Pour les auteurs dont les contributions sont spécialement importantes, des notices-auteurs donnant une vue synoptique de ces contributions ; (d) Un espace de discussion qui permettra de réagir, rectifier ou prolonger certains éléments du contenu des notices, de soumettre des notices et de débattre collectivement à propos de questions liées aux pratiques scientifiques. Cet espace de discussion sera en même temps un moyen de reconstituer le réseau des chercheurs contemporains pertinents.