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Pour une nouvelle histoire du néo-kantisme

France / Allemagne / France et Allemagne (1850-1950)

Projet de recherche soutenu par le Conseil Scientifique de l'Université de Lorraine.

Coordinateurs

Autres chercheurs participant au projet

  • Christian BONNET (CHSPM, EA 1451, Université Paris 1)
  • Charles BRAVERMAN (LHSP-AHP, Université de Lorraine)
  • Jean-Marie CHEVALIER (Collège de France, Chaire de métaphysique et philosophie de la connaissance, Paris)
  • Jules-Henri GREBER (LHSP-AHP, Université de Lorraine)
  • Michael HEIDELBERGER (Université de Tübingen)
  • Gerhard HEINZMANN (LHSP-AHP, Université de Lorraine)
  • Jacques LAMBERT (Grenoble)
  • Carole MAIGNÉ (Université Paris 4)
  • Alexandre MÉTRAUX (LHSP-AHP, Université de Lorraine /Heidelberg)
  • Philippe NABONNAND (LHSP-AHP, Université de Lorraine)
  • Gregor SCHIEMANN (Université de Wuppertal)
  • Peter WELSEN (Université de Trèves)
  • Françoise WILLMANN (CEGIL & LHSP-AHP, Université de Lorraine)

Résumé du projet

Le but de notre recherche collective sur le néokantisme est de réunir les travaux de spécialistes de ce courant foisonnant, encore peu connu en France, afin de contribuer à donner de l’histoire de la philosophie allemande et française une image plus riche, plus variée, plus complète, moins stéréotypée que celle qu’on trouve aujourd’hui encore dans les manuels d’histoire de la philosophie, la plupart centrés sur quelques grands monuments de la pensée. En prenant pour fil conducteur Kant et sa réception, nous parvenons à éclairer les différentes figures de cette tranche d’histoire de la philosophie allemande et française entre 1850 et 1950, figures qui toutes sans exception se situent par rapport à Kant, soit pour le critiquer, soit pour en reprendre certaines thèses dans une perspective nouvelle. Ces travaux que nous menons sur l’histoire du post- et néokantisme bénéficient aujourd’hui d’un regain d’intérêt, y compris dans des cercles non-académiques. En atteste par exemple la parution en mars 2013 d’un article de Philosophie magazine, consacré à la publication de l’ouvrage de Christophe Bouriau : Kant, Vaihinger et le fictionalisme, éd. du Cerf, 2013.

Le but de notre projet, portant sur certaines figures et relations peu connues dans le cadre néokantisme dans la période qui s’étend de 1850 à 1950 en Allemagne et en France, est de montrer l’impact d’auteurs considérés comme mineurs, et d’échanges franco-allemands négligés, dans l’histoire des idées. Nous voudrions, au travers de cet exemple, tester l’hypothèse que la force d’une pensée réside dans les effets qu’elle produit dans la vie intellectuelle et dans la transformation des idées, et qu’à ce titre les œuvres et les coopérations que nous souhaitons étudier méritent de se voir attribuer une certaine force dans l’histoire du savoir en général. Nous souhaitons par ce projet promouvoir une approche de l’histoire de la philosophie contextuelle centrée sur la manière dont les idées se diffusent et interagissent les unes sur les autres pour produire à plus ou moins long terme des infléchissements importants dans le paysage intellectuel européen. Si cette approche a déjà fait l’objet de travaux extensifs dans le domaine de l’histoire des sciences (notamment des mathématiques), elle n’est que très peu représentée en histoire de la philosophie, en particulier en France. A cet égard, la collaboration franco-allemande qui sous-tend ce projet ne pourra être que fructueuse.

Le terme de « néo-kantisme » ne désigne pas ici les écoles déjà bien étudiées de Marbourg (Cohen, Cassirer, Natorp) et de Heidelberg (Rickert, Windelband), mais un certain nombre d’auteurs qui ont développé leur pensée à partir de Kant soit pour s’en inspirer, soit pour s’y opposer. Quelques noms : Herbart, Helmholtz, Lange, Wundt, von Kries, Vaihinger, Natorp, Boutroux, Poincaré, Couturat, Alois Riehl, etc. Le cas de Hans Vaihinger est particulièrement significatif à cet égard. Nous montrerons que ce néokantien tombé aujourd’hui dans l’oubli a exercé une influence majeure sur certains grands auteurs du XXe siècle (notamment Rudolf Carnap, Hans Kelsen, Alfred Adler, Aldous Huxley), qui se sont inspirés avec fruit de tel ou tel aspect de sa « philosophie du comme si ».

La plupart des travaux existant sur le néokantisme prennent l’une ou l’autre des deux formes suivantes : 1) Une série de travaux présente différents courants du néokantisme dans leur chronologie historique. On peut penser par exemple à l’ouvrage de Klaus Christian Köhnke : Entstehung und Aufstieg des Neukantianismus. Die deutsche Universitätsphilosophie zwischen Idealismus und Positivismus, Frankfurt : Suhrkamp, 1986. L’ouvrage, comme son titre l’indique, retrace l’évolution du néokantisme en Allemagne dans la seconde moitié du XXe siècle, ainsi que les différentes figures et écoles néokantiennes apparues dans cette période. Dans une perspective similaire, Massimo Ferrari a publié : Retours à Kant (1997), trad. Thierry Loisel, Paris : Cerf, 2001 : il s’agit d’un tableau riche et précis du néokantisme saisi dès son origine (avant 1960),  présentant le néokantisme allemand physiologique (Helmholtz, Lange, Zeller), le néokantisme méthodologique des écoles ultérieures, celle de Bade (Windelband, Rickert) et de Marbourg (Cohen, Natorp, Cassirer), mais également des néokantiens français plus isolés (Renouvier, Boutroux, Brunschvicg) et la discussion avec Couturat et Poincaré. 2) Une autre série de travaux se focalise soit sur une école néokantienne particulière, soit sur une figure importante du néokantisme. Pour le premier cas, on citera par exemple Alexis Philonenko : L’école de Marbourg, Paris : Vrin, 1989. Pour le second, on peut mentionner le livre d’Eric Dufour : Paul Natorp. De la psychologie générale à la systématique philosophique, Paris : Vrin, 2010.

Notre projet se démarque de ces deux types d’approches du néokantisme (l’approche chronologique/ l’approche monadique centrée sur un courant ou une figure particulière) par les deux aspects suivants : 1) il s’attache à mettre en relief la manière dont certaines thèses néokantiennes se sont diffusées et assimilées au-delà même des cercles néokantiens. Citons l’exemple du néokantien Hans Vaihinger, dont l’approche par le comme si, inspirée de Kant, a été reprise dans divers champs du savoir (en psychologie, en théorie du droit, en philosophie des sciences, en esthétique et en philosophie de la religion), et par des auteurs qui ne se réclament pas du néokantisme (Alfred Adler, Hans Kelsen, Kendall Walton, Baas van Fraassen, Don Cupitt par exemple). 2) Notre approche s’attache à mettre en lumière les réseaux qui se sont constitués autour de thèses néokantiennes, soit pour les défendre, soit pour les discuter, soit pour les combattre. Il montre en outre les enjeux historiques des discussions qui se sont développées autour de positions néokantiennes. Par exemple, le néokantien Vaihinger a défendu l’interprétation donnée par Couturat du statut de la guerre chez Kant contre l’interprétation de Brunetière. Au-delà de la question de la fidélité à Kant (qu’a-t-il vraiment pensé de la guerre ?) on voit que l’enjeu est politique : est-il légitime de se réclamer de Kant pour justifier la guerre au nom de considérations nationalistes (Brunetière) ou au contraire est-ce là trahir l’esprit et la lettre du kantisme en manquant son enseignement fondamental sur la guerre, suivant lequel celle-ci doit désormais demeurer une chose du passé, qui ne peut désormais apporter aucun progrès (Couturat et Vaihinger).

Par ailleurs, un tel projet ne peut se cantonner à un questionnement d’histoire des idées philosophiques, mais doit également analyser l’influence du néo-kantisme hors de la sphère proprement philosophique : nous pourrons ainsi préciser ce que nous entendons par l’expression « force des idées », en montrant que la force d’une idée philosophique se mesure par sa capacité à être reprise également hors du champ théorique de la seule philosophie. Nous pensons notamment à la physique et à la psychologie, au discours politique, au droit constitutionnel (Kelsen), etc. C’est pourquoi, bien que notre projet porte essentiellement sur la philosophie de la connaissance et des sciences, il permettra de mesurer l’influence de Kant dans la pensée des savants (par exemple, Ampère, Herbart, Helmholtz, Wundt, Renouvier, Poincaré). Nous traiterons également d’un cas exemplaire de coopération franco-allemande sur un débat à forte implication politique au début du 20e siècle : celui, indiquée plus haut, de la possibilité d’une récupération nationaliste de la pensée kantienne sur la valeur de la guerre (Brunetière vs. Couturat et Vaihinger). En définitive, et d’un point de vue plus général, il s’agira ainsi de contribuer à une histoire transdisciplinaire de la philosophie, qui rompe avec des lectures trop internalistes (en termes d’analyse des textes d’un même auteur ou d’étude des filiations dans un seul champ disciplinaire).

Le projet s'organise selon trois volets principaux :

  1. Réception, interprétation et reprises philosophiques de Kant
  2. Impact d’idées philosophiques en philosophie et hors du champ philosophique
  3. Echanges et coopérations franco-allemandes autour de Kant

Réalisations

En 2012-2013, le soutien accordé au projet a d’ores et déjà permis d’initier un travail collectif, qui s’est concrétisé au travers de plusieurs séances du séminaire interne, et de l’organisation à Nancy d’une journée d’études sur l’histoire et la philosophie du fictionalisme. Le projet a également donné lieu à la constitution par Charles Braverman de trois bibliographies qui seront finalisées dans les prochains mois, sur les thèmes suivants :

  • Bibliographie générale su la postérité kantienne
  • Kant et les géométries non-euclidiennes
  • Ampère, figure peu connue du néokantisme

Ces bibliographies seront vraisemblablement mises en ligne sur le site du projet, ou sur un site Zotero public lié au projet.

Par ailleurs, les réalisations suivantes peuvent être prises en compte :

  • Christian Bonnet, L'Autre Ecole de Iéna. Critique, métaphysique et psychologie, Paris, Garnier, (sous presse), en librairie très prochainement. Ce livre centré sur l’œuvre du postkantienJakob Fries montre comment s’est constituée une autre postérité du kantisme que celle développée par l’idéalisme allemand de Fichte, Schelling et Hegel. Cette postérité kantienne, moins spéculative et plus proche de l’expérience, eut une influence capitale sur l’interprétation physiologique et psychologique de la première Critique développée par des néokantiens tels que Albert Friedrich Lange et Hermann von Helmholtz.
  • Christophe Bouriau, « Schopenhauers Begriff des unbewußten Schlusses und seine Wirkungsgeschichte », in Schopenhauer und die Kultur, Ernst Wolfgang Orth et Peter Welsen (Eds), Würzburg : Königshausen & Neumann, 2012, p. 15-39. Cet article se rattache au néokantisme dans la mesure où il montre que la théorie de la perception développée par le néokantien Hermann von Helmholtz se constitue à travers une reprise et discussion des théories respectivement kantienne et schopenhauerienne de la perception.
  • Christophe Bouriau, Le comme si. Kant, Vaihinger et le fictionalisme, Paris, éditions du Cerf, collection Passages, janvier 2013. (Cf. annexe 5)
  • Christophe Bouriau, Kelsen lecteur de Vaihinger. Présentation et traduction de deux articles de Kelsen sur les fictions du droit, à paraître chez ENS éditions, collection La croisée des chemins, juin 2013.
  • Christophe Bouriau & Oliver Schlaudt, traduction de Hans Vaihinger, « Eine französische Kontroverse über Kants Ansicht vom Kriege. Auch ein Wort zur Friedenskonferenz », Kantstudien 4, 1900, pour publication dans un ouvrage sur la controverse Brunnetière-Couturat aux éditions de Minuit, coll. « Philosophie », en 2014.
  • Carole Maigné, organisation du Colloque international « Bernard Bolzano » (dont la doctrine s’élabore en discussion avec les thèses kantiennes),  avec Dominique Pradelle et Jan Sebestik, juin 2012, Clermont- Ferrand.
  • Carole Maigné, « Herbart paradoxal ? », in « Ernst Cassirer », numéro sous la direction de C. Maigné et E. Rudolph, Revue germanique internationale, n°15, Paris, CNRS éditions, 2012, p. 63-76.
  • Carole Maigné, Ernst Cassirer, collection Voix allemandes, Paris, Belin, 2013 (sous presse).
  • Carole Maigné (éd.), B. Bolzano, Textes esthétiques, Paris, Vrin, à paraître en 2013 (avec la collaboration de G. Pégny et N. Rialland).
 Ce travail se rattache lui aussi fortement à Kant dans la mesure où Bolzano est en perpétuelle discussion avec les thèses kantiennes.
  • Alexandre Métraux, « Ein Psychologe im Ghetto. Die letzten Lebensjahre von Otto Selz », in: Theo Herrmann & Włodek Zeidler (dir.) : Psychologen in autoritären Systemen. Francfort s/Main: Peter Lang, 2012, pp. 270-293 (= Beiträge zur Geschichte der Psychologie, ed. Helmut E. Lück & Armin, Stock, vol. 24). Le psychologue Otto Selz a notamment adapté la théorie kantienne du schématisme pour rendre compte du processus de créativité humaine.
  • Peter Welsen, coédition scientifique avec Ernst Orth de l'ouvrage collectif Schopenhauer und die Kultur, chez Königshausen et Neumann. Dans ce volume, publication de l’article : « Schopenhauer als Vorläufer Freuds », p. 67-86.

Opérations prévues en 2013-2014

Les travaux concernant ce projet prendront diverses formes :

  • Edition et, pour les textes allemands, traductions de textes inédits (Helmholtz, Wundt, Vaihinger, Riehl, etc.) ;
  • Organisation d’une journée d’études ;
  • Publication des résultats des travaux (éventuellement via le lancement d’une collection aux Presses Universitaires de Lorraine) ; publication d’articles et d’ouvrages.

Afin d’assurer l’unité méthodologique et le suivi du projet, le séminaire interne se réunit trois fois dans l’année, à Nancy.

Le 26 septembre 2013 est organisée à Nancy une journée d'études intitulée : « Une autre réception de la Critique de la Raison Pure ».

Par ailleurs, les publications et opérations suivantes sont prévues sur la même période :

  • Traduction de Helmholtz : « Du rapport entre les sciences de la nature et les autres sciences », trad. de Christophe Bouriau en collaboration avec l’Académie Helmholtz, avec une préface de Christophe Bouriau et Alexandre Métraux.
  • Traduction de Jerusalem, Wilhem: Kants Bedeutung für die Gegenwart. Gedenkrede zum 12. Februar 1904, Wien 1905.
  • Traduction de Schlick, Moritz: “Gibt es intuitive Erkenntnis?” Vierteljahrsschrift für wissenschaftliche Philosophie und Soziologie 37, 1913.
  • Traduction de Wilhelm Wundt: “Kants kosmologische Antinomien und das Problem des Unendlichen (1885-1909)”, in: Kleine Schriften, tome 1, Leipzig 1910.
  • Mission de recherche sur les fonds Couturat au CDELI (Centre de documentation et d’étude sur la langue internationale), La Chaux-de-fonds, Suisse.
  • Préparation avec Jean-Christophe Merle de l’ouvrage collectif : Perspectives philosophiques sur les fictions, Kimé, collection « philosophie, épistémologie ». Cet ouvrage reprend les actes de la journée d’études organisée en novembre 2012 aux Archives Poincaré, centrée sur une figure importante du néokantisme, bien que méconnue en France : Hans Vaihinger, auteur d’une théorie des fictions dont nous avons examiné les sources et la portée philosophique.
  • Traduction et analyse d’un article (à paraître) de Michael Heidelberger, établissant un pont entre le néo-kantisme de Lange et Vaihinger et le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein (« Hans Vaihinger une Friderich Albert Lange. Mit einem Ausblick auf Ludwig Wittgenstein »).